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permet pas aux femmes de régner, c’est être doublement injuste. Le règne de la reine Blanche et le règne glorieux de tant de femmes dans presque tous les pays d’Europe réfutent assez la grossièreté de Mézerai[1]. Pour Voltaire, la loi salique n’est pas une loi économique, mais une loi militaire, les filles ne sont exclues de la loi salique « que parce que tout seigneur était obligé de se trouver en armes aux assemblées de la nation ». Mais porter les armes et gouverner font deux et la loi salique ne prouve pas que les femmes sont incapables de tenir les rênes du gouvernement. Voltaire qui, dans l’essai sur les mœurs, a évoqué les grandes reines du moyen-âge, qui a adressé tant d’éloges à la Sémiramis du Nord, tient les femmes pour capables de faire d’excellents chefs de gouvernement. Avec lui, Montesquieu déclare que, « s’il y avait absurdité à remettre aux femmes, comme le faisaient les anciens Égyptiens, toute l’autorité dans la famille, il n’est contraire ni à la raison, ni à la nature que les femmes gouvernent un empire ». « Leur douceur, leur modération y feraient, dit-il, merveille. Car ce sont ces qualités qui font un gouvernement plutôt que les vertus dures et fortes[2]. »

Maints exemples, d’ailleurs, en témoignent. Dans les Indes, on se trouve bien du gouvernement des femmes[3] ; on se trouve bien aussi du gouvernement des femmes en Afrique. Si l’on ajoute l’exemple de la Moscovie et de l’Angleterre, on verra que les femmes réussissent également bien dans le gouvernement despotique et dans le gouvernement modéré. Caffiaux, marchant toujours sur les traces de Poulain de la Barre, soutient que les femmes sont, par leur finesse et leur intelligence, plus aptes à gouverner que les hommes, qui ne les ont privées de leurs droits que par une injuste usurpation ! « C’est le droit naturel, ajoute-t-il, qui donne aux femmes le gouvernement des cités, car le gouvernement dérive de la famille et, d’après les lois naturelles, la mère a plus d’autorité que le père sur ses enfants. » Voilà, pour la première fois, esquissée la théorie du matriarcat.

Un historien, dont les œuvres ne sont pas sans valeur, l’abbé Guyon, reprend la même thèse et la développe largement. Son Histoire des Amazones, où ne manquent pas les vues intéressantes, l’a amené non à considérer seulement la capacité politique des souve-

  1. Essai sur les mœurs (Œuvres complètes).
  2. Esprit des lois.
  3. « Quand une principauté de l’Inde est bien administrée, dira plus tard Stuart Mill (Subjection of woman), c’est en général par une femme. »