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en tout cas, elle ne les a guère préoccupées. Néanmoins, quelques-unes d’entre elles ont revendiqué pour la femme le droit d’exercer toutes les professions masculines. C’est d’ailleurs avec discrétion qu’elles le font et sous forme de suggestions plutôt que de revendications. Aucune d’entre elles, en effet, ne demande au gouvernement de faire des lois nouvelles qui permettent à la femme d’embrasser toutes les carrières. Sans doute, craindraient-elles les brocards de leurs confrères. Mais, soit dans les discussions académiques sur l’égalité des sexes, soit dans des ouvrages fantaisistes, contes ou romans, elles insinuent qu’il ne serait ni extraordinaire, ni ridicule, ni contraire au vœu de la nature et à l’ordre social, de voir des femmes exercer tous les métiers intellectuels ou manuels que l’usage réserve au sexe fort.

Il faut avouer, d’ailleurs, que leur plaidoyer n’est pas très original et que lorsqu’elles ne se contentent pas d’insinuer, comme Mme  Robert, que dans la planète Saturne les hommes n’ont aucune supériorité sur les femmes autre que celle que la science, le bon sens et la raison leur donnent[1], elles semblent démarquer le Traité de l’égalité des sexes. « C’est, dit Mme  de Puisieulx, la coutume et la loi du plus fort, non la nature et la raison qui empêchent la femme d’exercer tous les métiers libéraux pour lesquels elle serait douée tout comme l’homme. Et le barreau leur conviendrait aussi bien que l’exercice de la médecine, l’enseignement dans les Universités et même la théologie. » Elle voit très bien une femme lire une carte d’état-major et diriger les évolutions d’une armée… quand la pratique des exercices physiques lui aura rendu toute sa force naturelle…[2]. Mme  de Coicy reprend, sous une forme un peu différente, les mêmes arguments. Elle voit la femme douée par la nature pour exercer, à l’égal de l’homme, les charges honorifiques et les petits métiers qui lui permettraient de gagner honorablement sa vie. Ainsi la bureaucratie judiciaire, « si lucrative à des légions d’hommes » et qui reste fermée pour les femmes. Se plaçant déjà au point de vue qu’adopteront, vers 1830, les féministes français, elle trouve injuste que les différends mêmes que les femmes ont entre elles soient examinés par des hommes, jugés par des hommes ? « et qu’une femme injuriée, insultée, frappée dans son honneur, n’ait point de femme qui puisse plaider pour

  1. Mme  Robert. Voyage de Milord Céton dans les sept planètes ou le Nouveau Mentor.
  2. Mme  de Puisieulx. La femme n’est pas inférieure à l’homme.