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car éprouvant l’amour, elles restent entravées par une réserve naturelle et ne savent pas en peindre les transports. « En un mot, elles manquent d’esprit créateur[1]. »

Mais, de ce que Thomas ne juge pas les femmes capables de produire, comme les hommes, de hauts chefs-d’œuvre, il ne s’ensuit pas qu’il leur dénie le droit de l’essayer. On ne trouverait pas chez lui de diatribe contre la femme bel esprit. Or, Thomas est un esprit peu original ; ses idées représentent assez bien une opinion moyenne. Il est donc évident que malgré les épigrammes dont, par habitude, quelques chroniqueurs continuaient de les cribler, malgré les sourires peu indulgents des gens de leur monde, les femmes de lettres commençaient d’être acceptées par l’opinion publique. Leur nombre en est une preuve.

Les femmes mêmes qui cultivent les sciences, non seulement en amateurs, mais en professionnelles, trouvent autant d’admirateurs que de critiques. On admet qu’une femme, comme un homme, puisse apporter sa contribution au progrès des lumières. C’est donc, depuis les Femmes savantes et la satire sur les Femmes, de Boileau, une très sensible évolution et qui prépare celle, décisive, du xixe et du xxe siècle.

iii. Le féminisme économique

Produire de belles œuvres littéraires, contribuer à l’avancement des sciences, voilà qui n’intéressait que quelques privilégiées. Comme parmi les émancipées, les intellectuelles étaient les plus en vue, celles surtout qui ont attiré l’attention ; ce sont leurs initiatives qui ont soulevé le plus de discussions. Pourtant, quelques écrivains, très peu nombreux d’ailleurs, ont porté leur regard sur la foule des femmes de la petite bourgeoisie ou du peuple que la difficulté qu’elles éprouvaient à gagner elles-mêmes leur vie, les entraves apportées par les lois de l’État et les usages corporatifs à l’exercice des métiers, réduisaient à un mariage contraire à leurs sentiments, poussaient au couvent ou jetaient à la vie galante. En un mot, l’on voit poindre dans la seconde moitié du xviiie siècle, ce fcminisme économique qui, à la fin du xixe siècle, sera la base même des revendications féministes et qui n’est alors que l’un de leurs aspects.

Les plus marquants des « philosophes » ont dédaigné cet aspect. Voltaire constate que la nature interdit aux femmes les travaux

  1. Thomas. Loc. cit.