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devoirs, il interdit aux deux sexes une fréquentation quotidienne. « N’est-ce pas un usage constant, chez tous les peuples du monde, excepté les Français et ceux qui les imitent, que les hommes vivent entre eux, les femmes entre elles ? S’ils se voient les uns, les autres, c’est plutôt par entrevue et presqu’à la dérobée, comme les époux de Lacédémone. On ne voit pas les sauvages, même, indistinctement mêlés, hommes et femmes. Le soir, la famille se rassemble, chacun passe la nuit auprès de sa femme. La séparation recommence avec le jour et les deux sexes n’ont plus de commun que les repas tout au plus. Tel est l’ordre que son universalité montre le plus naturel[1]. « Suivre la nature, telle est donc sur ce point comme sur tant d’autres la doctrine de Rousseau (de Rousseau qui ne se doute pas que justement la nature établit à l’origine une complète promiscuité). La société qu’il conçoit ressemble singulièrement à la société des républiques grecques ou à la société musulmane : la femme claquemurée chez elle tandis que le mari vit au dehors, nuls rapports sociaux, nuls rapports mondains entre les sexes et par conséquent nulle possibilité pour la femme d’exercer un métier en dehors de celui de mère, et même nulle vie de société !

Si Rousseau aperçoit nettement cette dernière conséquence de sa doctrine, c’est fort délibérément qu’il en prend son parti. Ne tient-il pas la société mondaine pour particulièrement mauvaise et corruptrice et ne la juge-t-il pas responsable aussi bien de la décadence littéraire que de la corruption des mœurs ?

Dans la maison de Wolmar, qui est une vraie petite république, — la république familiale qui répond à l’idéal de Rousseau, — on a pris soin d’empêcher qu’il n’y ait, chez le personnel domestique, de communications trop fréquentes entre les sexes. « On regarde cet article comme très important… Pour prévenir entre les deux sexes une familiarité dangereuse, on ne les gêne pas par des lois positives qu’ils seraient tentés d’enfreindre en secret. Mais sans paraître y songer, on établit des usages plus puissants que l’autorité même[2].

Comme toujours, Restif de la Bretonne suit de très près son maître : les femmes sont faites pour aimer et distraire leurs maris et pour élever leurs enfants. Il leur a suffi, nous l’avons vu, d’apprendre la pudeur et la modestie.

  1. La nouvelle Héloise, 4e partie, lettre n° 10.
  2. « On ne leur défend pas de se voir, mais on fait en sorte qu’ils n’en aient ni l’occasion, ni la volonté. On y parvient en leur donnant des habitudes, des goûts, des plaisirs entièrement différents. « (Ibid).