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Le naturaliste Buffon, qui considère les choses au point de vue physiologique et qui, comme tant d’autres à l’époque, redoute la dépopulation, est le premier à aborder ce côté du problème. « Si les mères nourrissaient leurs enfants, écrit-il dans un chapitre de son Histoire naturelle[1], il y a apparence qu’ils seraient plus forts et plus vigoureux. Le lait de la mère doit leur convenir mieux que le lait d’une autre femme. Car la physiologie de l’embryon indiquerait qu’il y est accoutumé dès avant sa naissance, tandis que le lait d’une autre femme est une nourriture nouvelle pour lui. « La coutume qu’ont les mères de mettre leurs enfants en nourrice est donc l’une des causes de la mortalité infantile et du dépérissement de la race.

C’est à peu près aux mêmes points de vue : avantage qu’il y a pour la jeune accouchée à nourrir dès le premier jour, vigueur plus grande des enfants élevés avec le lait de leur mère, que se place un peu plus tard Mme  Lerebourg[2].

Tous les arguments physiques, moraux, sociaux lancés par ses précurseurs en faveur de l’éducation maternelle, Rousseau les ramasse, les lie en un faisceau vigoureux et les présente avec une grande force persuasive. Pour lui, toute la prospérité, toute la moralité du monde reposent sur une forte organisation familiale. Et, dans la famille, la mère, qui assure la stabilité du foyer, tient une place prépondérante. Elle la tient à condition qu’elle remplisse son rôle essentiel qui est le développement de la race par une abondante progéniture et la formation physique et morale des jeunes générations. Elle doit, nous l’avons vu, rester au foyer familial que Rousseau envisage presque comme un gynécée d’où elle doit rarement sortir. Si elle n’est pas distraite par la frivolité du monde, elle n’a rien de mieux à faire que de passer tout son temps à l’éducation de ses enfants.

Que d’abord, elle cesse de confier son enfant à des nourrices mercenaires, car de là viennent tous les malheurs et toute la corruption de la société. D’une part et suivant le point de vue de Buffon, Rousseau tient que seul l’allaitement maternel est favorable au développement physique des nourrissons. D’autre part, on ne se contente pas de confier l’enfant à une autre femme, on l’envoie souvent loin de la famille, dans une demeure étrangère où on le néglige et souvent le maltraite. Ne voulant pas nourrir l’enfant, la mère ne consent pas non plus à le surveiller, et elle invente le maillot qui

  1. De l’homme.
  2. Avis aux mères qui veulent nourrir (Paris, 1776).