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haine trop tenace, les juges ne se montrent pas toujours complaisants.

Témoin le procès qui se déroule en 1775 au Parlement de Paris : Un mari a usé de la rigueur des lois pour faire séquestrer sa femme infidèle. Celle-ci s’est enfuie à Londres où elle a mené une vie irrégulière. Le mari intente à son épouse un procès et prétend faire à nouveau enfermer sa femme et être maintenu en possession de sa dot.

Un arrêt du 6 septembre 1775 le déboute de sa demande. Les considérants du jugement surtout sont intéressants comme des indices d’un esprit nouveau. La faute que l’on impute présentement à la femme, c’est le mari qui en est responsable. En l’enfermant, c’est-à-dire en usant de ses droits, il a forcé son épouse de s’enfuir. Si, à Londres, elle s’est plongée dans le libertinage, c’est qu’ « à un penchant naturel pour le plaisir s’ajoutait l’aiguillon de la misère » [1]. Sans la rigueur criminelle du mari, la femme n’eût pas été perdue, mais relevée. Est-il admissible qu’un homme impitoyable vienne s’enrichir des dépouilles de la malheureuse ? Non, pour tous ces considérants, sa demande est irrecevable. Ainsi, à des magistrats du Parlement de Paris, le droit strict apparaît, en cette matière, stricte injustice.

Il n’en reste pas moins que le mari a le droit de punir l’épouse infidèle et que la femme, au contraire, n’a contre l’infidélité du mari nulle espèce de recours.

« Plusieurs auteurs croient, écrit un jurisconsulte, que la femme peut intenter contre le mari adultère une action civile ; d’autres croient que, pour justifier une action valable, l’adultère doit être accompagné de scandale et de mauvaise traitements. » Autant dire que l’adultère n’est pas, de la part de l’épouse, un motif suffisant de plainte. En somme, la loi est muette, la jurisprudence incertaine. Tandis que l’époux est formidablement armé contre l’infidélité de sa compagne, celle-ci est impuissante contre l’infidélité du mari. De ce point de vue l’inégalité est flagrante, au xviiie siècle comme dans nos législations modernes. Le Code Napoléon, sur cette matière comme en tant d’autres, s’est grandement inspiré des lois et coutumes en vigueur.

De même l’article 312 du Code civil, d’après lequel la femme doit suivre son mari, se trouve, sous une forme à peu près semblable dans la plupart des lois et des coutumes. « La femme, dit Pothier[2],

  1. Dictionnaire de jurisprudence.
  2. Loc. cit.