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De ces prémisses, va-t-on tirer la conclusion qu’on doit réorganiser la société conjugale sur la base de l’égalité des droits des deux époux ? Nullement, car il est essentiel que, dans cette société, l’autorité ne soit pas partagée et reste en une seule main. Mais cette main peut être féminine.

Rien n’empêche, en effet, les deux époux de faire des arrangements particuliers stipulant que la femme sera chargée du gouvernement de la société conjugale. Celle-ci, en effet, repose sur un contrat, et dans tout ce qui n’est pas défendu par les lois naturelles, les engagements contractuels entre le mari et la femme en déterminent les droits réciproques… Thèse singulière, qui a été reprise de nos jours par quelques sociologues, qui ne donne aux aspirations d’indépendance féminine qu’une satisfaction de principe et qui ne fait d’ailleurs que constater un fait, à savoir que, parfois, effectivement la femme commande. Elle ne pouvait, ne pourrait apporter que des solutions particulières à la question.

L’opinion publique s’est assez intéressée aux droits et aux devoirs réciproques des époux pour que la question ait été portée au théâtre. Marivaux perd rarement l’occasion de nous montrer des femmes protestant contre l’injuste obéissance qu’on exige d’elles. « Je sais, dit Angélique de l’École des mères, que cet article a quelque chose d’un peu mortifiant… C’est une espèce de loi qu’on nous a imposée et qui, dans le fond, nous fait honneur, car, entre deux personnes qui vivent ensemble, c’est toujours la plus raisonnable qu’on charge d’être la plus docile[1]. »

Combien est plus vibrant le plaidoyer de Nivelle de la Chaussée : Quoi ! s’écrie Sophie,

Quoi ! parce que un perfide aura le nom d’époux,
Il pourra me porter les plus sensibles coups,
Violer tous les jours le serment qui nous lie
Sans qu’il me soit permis de réclamer des droits
Qui devraient être égaux… Mais ils ont fait les lois !

Et quelques scènes plus loin, son fiancé Darnon fait chorus avec elle :

Eh ! pourquoi voulons-nous qu’il soit soumis (son sexe) au nôtre ?
Mais le traitons-nous mieux quand nous l’avons séduit ?
Notre empire commence et le lien est détruit !
Nous plaindrons-nous toujours, injustes que nous sommes,
De ce sexe qui n’a que le dédain des hommes ?
Quel ridicule orgueil nous fait mésestimer
Ce que nous ne pouvons nous empêcher d’aimer ?

  1. L’École des mères.