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de la femme et leur rôle respectif dans la famille ? Ce sont là des questions passionnément discutées et sur lesquelles se combattent bien des théories opposées. Dans la société élégante, nous l’avons vu précédemment, le mariage était tout au plus une association d’intérêts où le sentiment n’avait aucune part. Souvent, la femme, comme l’homme, trouvait son compte à l’absolue liberté sentimentale que les usages mondains autorisaient, mieux, imposaient. Pourtant, une Mme  d’Epinay jugeait mal faite une société où l’épouse n’avait pas droit à l’affection de son mari et où l’amour conjugal était un ridicule dont il fallait promptement se défaire. Rares étaient celles qui pensaient comme elle et la mode restait aux unions sans amour.

Jugeant avec raison de pareils usages désastreux, puisqu’ils allaient à la dissolution de la famille, les écrivains protestent contre l’absurdité de la mode. Les premiers, les auteurs dramatiques engagent le débat. L’Envieux, de Destouches, le Préjugé à la mode, de Nivelle de la Chaussée, montrent des maris ou des femmes qui veulent s’affranchir des mœurs de leur siècle et, tout comme des bourgeois, trouver le bonheur dans une mutuelle affection. L’héroïne du Préjugé, Sophie, reconnaît d’ailleurs qu’il leur faut, pour réussir, une grande force de volonté En effet

… On a fait de l’amour conjugal
Un parfait ridicule, un travers sans égal,
Un époux à présent n’ose plus le paraître,
On lui reprocherait tout ce qu’il voudrait être.
Il faut qu’il sacrifie au préjugé cruel
Les plaisirs d’un amour permis et mutuel ;
En vain il est épris d’uns épouse qu’il aime,
La mode le subjugue, en dépit de lui-même,
Et le réduit bientôt à la nécessité
De passer de la honte à l’infidélité…

Pourtant, aux applaudissements des spectateurs, Sophie et Damon, d’Urval et Constance bravent finalement le ridicule préjugé. Ils seront des époux épris et heureux. De même Bélise, l’héroïne de l’Envieux, impose sa volonté à Lycandre, son timide fiancé. « Quand vous serez mon mari, dit-elle à Lycandre, je veux que vous vous moquiez de la mode et qu’on vous voie partout à ma suite, à la Cour, aux Tuileries, au bal, aux comédies, à l’Opéra. »

Le succès qui accueillit ces pièces et d’autres du même genre[1] montre qu’une autre conception du mariage était prête à appa-

  1. Comme l’École des bourgeois, de Saurin.