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(après Molière, remarquons-le) la liberté absolue de choisir son époux, il est des écrivains qui, tout libéraux qu’ils soient, par ailleurs, se font les apologistes de la coutume contraire.

Bondier de Villemert, que nous avons vu réclamer pour les femmes une éducation moins frivole, trouve juste que la femme accepte l’époux choisi par les parents[1]. Montesquieu, que le besoin qu’il éprouve de justifier toute institution par l’ensemble des coutumes, des lois et des mœurs, pousse trop souvent au paradoxe, accorde aux jeunes Anglaises le droit de choisir librement un époux et le refuse à ses compatriotes. Pourquoi ? Simplement parce qu’en Angleterre « les lois n’ayant pas établi un célibat monastique, les filles n’y ont d’autre état à prendre que celui du mariage et ne peuvent s’y refuser. En France, au contraire, le monachisme est établi, les femmes ont toujours la ressource du célibat, et la loi qui leur ordonne d’attendre le consentement du père y pourrait être convenable… » Ainsi, les jeunes filles qui considéreraient l’union avec un homme qu’elles n’auraient pas choisi comme un lourd esclavage, n’auraient à attendre qu’une autre geôle : le couvent ! Voilà où la logique entraîne un esprit libéral. Mais remarquons un mot significatif, « pourrait », qui montre bien que Montesquieu ne tient pas pour absolues ses propres affirmations.

De plus en plus, d’ailleurs, se répand cette idée que le mariage est une affaire assez sérieuse pour qu’on laisse les jeunes filles libres de la conclure à leur gré. Un bon bourgeois qui n’a rien du réformateur et dont les réflexions sont plutôt terre à terre, Grégory, déclare à ses filles, qu’à l’exception des malades et des sots, il les laissera choisir qui elles voudront et, qu’au surplus, bien que le mariage soit l’état le plus heureux et le plus utile à la société, il n’est « pas assez patriote « pour leur conseiller de se marier « par motif de bien public » [2].

Mme Helvétius professe les mêmes idées et les met en pratique en laissant ses filles libres de choisir elles-mêmes leurs maris[3].

ii. Les rapports entre les époux

Quels seront, les deux époux une fois unis, leurs rapports moraux et sentimentaux, quels seront les droits réciproques de l’homme et

  1. L’ami des femmes.
  2. Grégory. Legs d’un père à ses filles. Paris, 1777.
  3. Thirion. La vie privée des financiers. Cf. supra.