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i. Le choix de l’époux

La femme, remarquent la plupart de ceux et de celles qu’intéresse la question du mariage, la femme, tout en étant en théorie libre de choisir l’homme à qui elle unira sa destinée, ne dispose pas plus d’elle-même que celles de ses sœurs qui vivent en Asie sous le despotisme turc. C’est sous la plume de toutes les femmes de lettres, Mme  de Graffigny, Mme  de Puisieulx, Mme  de Coicy, un concert de récriminations contre la légèreté avec laquelle sont conclus les mariages.

« À vingt ans, écrit Mme  Gacon-Dufour, on nous marie. Nos pères, plus que nos mères, décident que nous devons prendre tel ou tel homme qu’ils nous donnent et dont, à ce qu’ils nous disent, ils connaissaient la fortune ; dont ils ont toujours été très amis ; à qui ils savent des qualités, des vertus, et qui doivent nous convenir. Rarement, nos mères nous y contraignent parce que, ayant souvent été contraintes, elles connaissent les dangers, tous les malheurs d’un mariage contracté sans penchant, d’un mariage forcé…[1] »

« Aussi, les hommes à qui nous sommes mariées sont rarement ceux qui nous conviennent par le caractère et par l’esprit. »

Ainsi s’exprime une féministe, et Rousseau, si opposé à toute émancipation de la femme, mais partisan cependant de la liberté du cœur, n’en juge pas d’une autre manière. « Pourquoi, écrit Saint-Preux, pourquoi faut-il qu’un insensé préjugé vienne changer les directions éternelles et bouleverser l’harmonie des êtres pensants ? Pourquoi la vanité d’un père barbare cache-t-elle ainsi la lumière sous le boisseau, fait-elle gémir dans les larmes des cœurs tendres et bienfaisants ? Le lien conjugal n’est-il pas le plus libre et le plus sacré des engagements ? Oui, toutes les lois qui le gênent sont injustes ; tous les pères qui l’osent former ou rompre sont des tyrans. Ce chaste nœud de la nature n’est soumis ni au pouvoir souverain, ni à l’autorité paternelle, mais à la seule autorité du Père commun qui sait commander aux cœurs et qui, leur ordonnant de s’unir, les peut contraindre à s’aimer[2]. »

Si Helvétius, Voltaire et bien d’autres s’élèvent contre l’absurdité des coutumes qui, imposant à la jeune fille un mari qu’elle n’aime pas, lui préparent tant de déboires et réclament pour elle

  1. Mme  Gacon-Dufour. Mémoire par le sexe féminin contre le sexe masculin.
  2. La nouvelle Héloïse, 2e  partie, lettre II.