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des femmes est, abstraction faite des génies, sensiblement égale à la moyenne des hommes et que les différences que l’on constate entre les sexes ne sont pas assez grandes pour justifier l’assujettissement de l’un d’entre eux.

L’Encyclopédie, qui représente l’officielle opinion des philosophes, n"a pas une doctrine beaucoup plus nette que Diderot, Voltaire, Thomas : elle n’ose ni affirmer nettement l’égalité intellectuelle des deux sexes, ni réfuter les théories des scolastiques qui considèrent la femme comme un spécimen d’humanité moins parfait que l’homme. À celui-ci, elle reconnaît « une puissance naturelle ». Et cependant, elle admet que cette puissance naturelle a été augmentée par les lois que les hommes ont dictées, que les divers préjugés sur le rapport d’excellence de l’homme à la femme ont été produits par la coutume des anciens peuples et les systèmes politiques et religieux. Mais nulle affirmation nette de l’égalité intellectuelle des deux sexes, nulle protestation véhémente contre l’assujettissement des femmes. À peine ose-t-elle soutenir que les femmes sont propres à l’étude.

En somme, la doctrine de l’Encyclopédie (exposée d’ailleurs par un écrivain de second ordre, Desmahis) est singulièrement timide et le problème a été à peine aperçu, nullement creusé.

iii. Rousseau, chef de l’école antiféministe

En face de ceux qui, plus ou moins hardiment, proclamèrent l’égalité naturelle des sexes, Rousseau se dresse, chef de l’école adverse, s’opposant, sur ce point comme sur tant d’autres, aux autres philosophes, particulièrement aux encyclopédistes, rattachant étroitement ses conceptions de la nature féminine à toute une philosophie naturelle et sociale et mettant au service de ses théories toute la passion, tout le parti-pris qu’il apporte à combattre l’inégalité sociale où à attaquer la civilisation.

Le point de vue dont il part est d’ailleurs fort curieux, et, comme il faut s’y attendre, paradoxal. Des contemporains ne mettent pas en doute que, malgré les adoucissements qu’apportent à leur sort la disparition progressive de la barbarie et la diffusion des lumières, les femmes ne soient toujours, suivant la lettre des lois, souvent si l’on considère leur application, des victimes de l’ordre social. Pour Rousseau, elles en sont les bénéficiaires. La femme, en effet, a fait une société à son image, frivole et corrompue, où elle règne, courbant l’homme sous le joug de l’amour, domestiquant le