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entre l’esprit masculin et l’esprit féminin, aucune inégalité d’aptitude entre l’homme et la femme. Les inégalités actuelles viennent de l’effet d’une cause contingente : l’infériorité de l’instruction féminine ; que cette cause cesse, les effets cesseront aussi.

Chez la plupart des apologistes de la femme, chez tous ceux qui veulent son émancipation intellectuelle, économique, sociale, voire politique, on retrouvera plus ou moins fortement exprimées, plus ou moins modifiées, suivant les tempéraments individuels, les idées de Montesquieu, de Voltaire, de Condorcet ou d’Helvétius. Parfois, mais comme nous le verrons, plus rarement, apparaîtront d’autres idées : nécessité de réformer la société pour donner à tous et à toutes un travail rémunérateur, remplacement du mariage périmé par une forme nouvelle d’union entre les sexes qui facilite le développement de la population.

Rousseau est le chef d’une autre école. Sur la nature, les aptitudes, le rôle de la femme, comme sur presque toutes les autres questions, ses idées sont en opposition formelle avec les idées des autres philosophes.

Misanthrope, Rousseau est par conséquent misogyne. C’est aux femmes, à l’influence excessive qu’elles ont prise dans les sociétés civilisés, qu’il impute toutes les corruptions du monde. Apôtre de l’état de nature, son idéal est le retour à cette simplicité primitive où la malice des femmes et la faiblesse de l’homme n’avaient pas encore délié de ses chaînes le sexe destiné à obéir. Egoïste, et ayant trouvé parmi les femmes de passionnées admiratrices, tant d’auxiliaires précieuses, dont les complaisances ou les soins l’ont si largement aidé à élaborer ses œuvres, il considère la personnalité féminine comme ne se réalisant pleinement que par celle de l’homme. Isolée, la femme n’est rien et elle ne peut faire seule sa destinée.

Mais surtout, c’est la différence fondamentale entre Rousseau et les écrivains de son temps, Rousseau reste chrétien. Et ses idées essentielles sur la femme sont des idées chrétiennes : l’infériorité native de la femme en vertu des éternels desseins du Créateur et dans le plan harmonieux de l’univers ; la constitution du couple, être unique dont l’homme doit être la tête et l’âme dirigeante, la femme le corps passif ; l’organisation de la famille fondée sur l’exclusive autorité du père.

Donc, pas d’autres destinées pour la femme que le mariage et, dans le mariage, la soumission la plus complète à la loi de l’homme. Rousseau qui, sur tant de points fut novateur, reste donc, sur celui-ci, traditionaliste. Cependant, l’importance qu’il attache au