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Essayons seulement de déterminer les traits les plus saillants de leur influence. Mme  de Lambert, Mme  de Tencin, Mme  du Deffand, Mme  d’Epinay, Mme  Geoffrin, Mlle  de Lespinasse, Mme  Helvétius, Mme  Necker, la princesse de Robecq, la duchesse d’Aiguillon, pour ne citer que les plus importantes parmi cent autres[1], voilà des femmes profondément différentes par leur origine, leur caractère, leurs idées. Les unes, Mme  de Lambert, Mme  d’Aiguillon, Mme  de Robecq, Mme  du Deffand sont de vraies grandes dames qui appartiennent à la noblesse d’épée et dont la famille tient un haut rang à la Cour. D’autres, Mme  Helvétius, Mme  d’Epinay, et avec elles Mme  de la Poplimière, Mme  Dupin, sont, par leur origine ou leur mariage, des financières. Mme  de Tencin, ancienne religieuse dont la vie fut scandaleuse même pour son époque, Mlle  de Lespinasse, fille naturelle et dédaignée par sa famille sont, dans un genre différent, des déclassées. Mme  Geoffrin est une grande bourgeoise, Mme  Necker une étrangère d’abord mal acclimatée en France.

Celles-ci, telles Mme  de Robecq, sont des impulsives, des passionnées. D’autres, comme Mlle  de Lespinasse, Mme  d’Epinay, sont des sentimentales, de grandes amoureuses dont la passion prend toute la vie. Mme  Helvétius, Mme  Geoffrin sont des femmes d’un parfait équilibre, celle-ci plus raisonneuse, celle-là plus sensible, mais que ne tourmente aucune passion. Mme  de Lambert est une vraie Minerve qui tempère de grâce et d’esprit sa grande sagesse et sa profonde connaissance du cœur humain. Mme  de Tencin est toute ambition et sécheresse. Mme  du Deffand est une cérébrale que martyrise la trop grande lucidité avec laquelle elle aperçoit les ridicules et les faiblesses et l’égoïsme humain. Mme  Necker est une bonne femme un peu naïve, heureuse d’être entourée d’hommes célèbres et distinguant mal la hiérarchie des esprits.

Leurs idées ne sont pas moins dissemblables. Mme  de Tencin, Mme  de Lambert sont plus curieuses de littérature que de politique et de philosophie. Elles sont, au fond, des traditionalistes qu’effrayaient les idées nouvelles. Universellement sceptique, Mme  du Deffand déteste les philosophes pour leurs convictions et leur esprit systématique, mais les reçoit en faveur de d’Alembert qu’elle protège. Mme  de Robecq, qui n’aime pas non plus la philosophie, lui témoigne activement sa haine. Mme  Necker, dont la foi chrétienne est heurtée assez visiblement par les doctrines des encyclopédistes.,

  1. Cf. Brunel. Les salons, dans Histoire de la littérature française, Tome VI, et Goncourt, La femme au xviiie siècle, qui donne l’énumération la plus complète des salons de l’aristocratie.