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de vivre et de juger, ses préjugés et sa liberté d’esprit, l’absolu détachement des principes moraux dont se faisaient gloire ses membres, la recherche passionnée de la vérité et celle non moins passionnée du plaisir, le sec égoïsme et le sincère amour des hommes qui se mélangent si étrangement chez les personnages les plus représentatifs de cette époque. C’est avec raison que les Goncourt jugent les mémoires de Mme d’Epinay l’une des grandes œuvres du siècle, qu’ils vantent la profondeur d’une observation psychologique qui descend « jusqu’au fond de la passion ». Tels morceaux, les confessions de Mlle d’Ette, les tourments jaloux de Mme d’Epinay lorsque l’infidélité conjugale lui est révélée, le récit du souper chez Mlle Quinault sont de petits chefs-d’œuvres évocateurs de curieux personnages et, à travers eux, de toute une époque.

Mme du Hausset, femme de chambre et confidente de Mme de Pompadour, vient bien loin derrière Mme de Staal ou Mme d’Epinay. Sans se préoccuper de l’effet littéraire, ni de la profondeur psychologique, elle raconte tout naïvement ce qu’elle voit. Mais sa bonhomie terre à terre ne manque pas de charme et, sans y prétendre, c’est de l’histoire, et de la plus pénétrante, qu’elle fait lorsqu’elle ouvre les portes des appartements intimes où vivaient Louis XV et sa grande favorite. Avec elle, nous saisissons sur le vif les petites causes des grands événements.

C’est à des mémoires de cette nature que semble s’appliquer le jugement de Marmontel qui, soutenant que les mémoires étaient un des genres littéraires si la femme réussissait tout particulièrement, écrivait : La femme « indique, involontairement les motifs, les arrière-causes des révolutions les plus inexplicables et nous révèle des mystères dont ses liaisons, l’intimité, le besoin qu’on aura eu d’elle pour se plaindre et se consoler n’aurait instruit qu’elle » [1].

Les femmes s’exercent également dans le genre épistolaire, et, dans ce genre, elle a donné un chef-d’œuvre, les Lettres de Mme du Deffand[2], où s’allient la verve de Mme de Sévigné, l’ironie de Voltaire, le pessimisme de la Rochefoucauld, et un art du portrait qui le cède à peine à celui de Saint-Simon.

Profondeur psychologique, limpidité cristalline et précision parfaite du style, raccourcis puissants sans jamais être obscurs, traits à l’emporte-pièce, pétillement de l’esprit, voilà pour faire des lettres de Mme du Deffand un chef-d’œuvre presque unique de la

  1. Marmontel. Mémoires.
  2. L’édition la plus complète est l’édition anglaise de Miss Pagett Toynbee.