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La femme, au xviiie siècle, a-t-elle vraiment perdu la foi ? Bien délicate question et à laquelle il est imprudent de faire une réponse trop générale. Si l’on considère seulement la haute société, il semble que l’on puisse ne soutenir qu’en effet la dévotion, si puissante encore au cœur des femmes de l’époque de Louis XIV, a presque complètement abandonné leurs petites filles. Chez celles qui composent la haute société parisienne ou provinciale, la dévotion n’est plus, dit très justement Goncourt, « qu’une affaire de bienséance…" « Une mode, voilà la piété:piété morte. À sa paroisse, la femme a la chaise où sont ses armes, et elle va à la messe pour occuper sa place par respect humain, pour elle-même ; pour les autres et pour ses gens…, on sort de l’église comme du théâtre, on s’y rend comme à la comédie…; des femmes même y vont en petites loges, avec l’espoir de s’amuser, d’y faire scandale[1]. » De fait, la dévotion de la femme de Cour est purement extérieure et l’on est frappé, en lisant les mémoires du temps, du peu de place que, dans sa vie, tiennent les préoccupations et les exercices religieux. Il y a bien à la Cour un parti dévot dont des femmes sont les tenants, mais mise à part la reine Marie Leczinska, dont la piété fut profonde et sincère quoique sans élan, la religion est pour elles comme pour le comte d’Argenson ou la plupart des hommes qui s’enrôlent dans ce même parti, le moyen d’arriver à des fins politiques. Chez toutes, l’exaltation religieuse fait totalement défaut, sauf au cours de bien rares crises de mysticisme individuelles ou collectives : lorsque Lalande publie ses mémoires sur le rôle destructeur des comètes, les églises de Paris se remplissent de belles dames[2]. C’est une fièvre bien rapidement calmée. Parfois aussi les désillusions du monde rejettent la femme vers le refuge ancestral : la piété. Après les premiers déboires conjugaux, Mme  d’Epinay pense un moment à s’enfermer au Carmel ; avec la finesse habituelle aux confesseurs mondains, l’abbé Martin reconnaît combien est peu mûrie cette décision et donne à sa pénitente le sage conseil de n’y pas persister.

Sans doute on cite des conversions véritables : celles, par exemple, de Mme  de Mailly qui, après son abandon, devient sincèrement dévote. Mais cette conversion coïncide avec une disgrâce.

À côté de ces quelques exemples de dévotion sincère, combien la plupart des femmes qui comptent dans la vie de société apparaissent comme inaccessibles aux émotions religieuses ? Des femmes comme

  1. Goncourt. Loc. cit.
  2. Ibid.