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lières à leur sexe, telles la vertu, la douceur et la bonté, un certain nombre de qualités masculines, le courage, la constance et même l’aptitude du gouvernement.

Est-ce à dire cependant que Bayle soit un champion de l’égalité des sexes ? Il s’en faut et, bien plus libéral que la plupart de ses contemporains, Bayle s’accorde avec eux sur ce point : c’est le sentiment qui prédomine chez la femme, non la raison ; c’est par son cœur, non par son esprit qu’elle se dirige. Pour lui donc, comme pour la plupart des écrivains, et, bien qu’il reconnaisse que certains arguments militent en faveur de la thèse contraire, la femme reste un être inférieur.

C’est qu’en réalité, le règne de Louis XIV est extrêmement défavorable à l’éclosion d’un mouvement féministe : car le triomphe de la monarchie absolue dans le domaine politique suppose, dans le domaine social, familial, religieux, moral, le triomphe d’autres conceptions, toutes hostiles à l’émancipation de la femme.

Le règne de l’ordre, c’est, dans la société, le triomphe d’une rigoureuse hiérarchie, d’une hiérarchie appuyée sur la tradition du passé. Or, quelle qu’ait pu être au moyen-âge la liberté politique des femmes, le souvenir s’en est depuis longtemps évanoui avec celui des antiques libertés politiques du peuple français. La tradition, établie par les lois divines et humaines, c’est donc la subordination des femmes. Qui voudrait les émanciper, qui oserait prêcher cette égalité des sexes que, pour telle femme noble — mais ceci encore est privilège — l’on a parfois pratiquement reconnue[1], serait considéré comme destructeur de l’ordre social ; et son enseignement de nature à le ruiner jusqu’à ses fondements. L’émancipation féminine serait aussi dangereuse pour l’ordre établi que celle du paysan et de l’ouvrier ; discuter la souveraineté masculine serait aussi condamnable que mettre en question, par exemple, le droit de propriété.

Comme tout régime d’autorité, comme la Rome républicaine, comme la France de Napoléon, la monarchie absolue a pour substruction première une très forte organisation de la famille : l’autorité du père, héritier du pater familias, doit, sur la femme comme sur les enfants, s’exercer sans restriction aucune. Parler aux femmes d’émancipation, c’est les dresser contre leur maître légitime, contre celui qui dans la famille représente le roi et Dieu. C’est porter l’anarchie au sein de la petite société qui est l’image réduite de l’État. C’est par là même en saper les bases.

  1. Mme  de Guebriant, ambassadrice en Pologne, eut des émules : MMmes de la Haye Vantelet, ambassadrice à Venise ; la duchesse d’Aiguillon, gouverneur du Havre en 1686.