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Il arriva, bien que rarement, que des femmes du peuple, particulièrement du peuple parisien, firent des manifestations collectives de caractère politique.

En 1748, les femmes de la Halle furent nettement contre l’humiliante paix d’Aix-la-Chapelle. « Une femme de la Halle, se querellant avec d’autres poissardes, raconte d’Argenson, lui dit : « Tu es bête comme la paix. » L’expression fit fortune parmi elles et manifesta nettement l’opinion populaire.

Un peu plus tard (1753), eut lieu une manifestation bien plus nettement caractéristique encore.

Au cours de ses conflits avec le Parlement, le gouvernement royal avait établi, pour remplacer le Parlement de Paris exilé à Pontoise, une chambre royale. Celle-ci, comme plus tard le Parlement Maupeou, était fort impopulaire. Un jour, un conseiller à la nouvelle chambre, passant à la Halle, dit à son cocher de le mener à la chambre royale. À ce nom les harengères s’assemblent et le huent, d’autres femmes puis un grand concours de peuple se réunirent à elles et le conseiller n’échappa qu’à grand’peine à la fureur populaire[1].

Les femmes du peuple de Paris, au contraire des grandes dames et des bourgeoises, restèrent cependant à peu près indifférentes à la suppression du Parlement. Les femmes de la Halle, en particulier, ne bougèrent pas, et leur abstention épargna à Paris des troubles graves. « Si, dit Mercier, la Halle n’est pas intéressée dans les séditions, les femmes demeurent calmes[2]. »

Mais, royalistes au cours du xviiie siècle, les dames de la Halle voient leurs sentiments de loyalisme s’affaiblir sous le règne de Louis XVI. À la veille de la Révolution, le duc d’Orléans était populaire parmi elles, si populaire que, lorsque le 4 mai 1789, défila à Versailles la procession des députés aux États Généraux, plusieurs femmes du peuple, au grand émoi de la reine qui suivait la cérémonie de sa fenêtre, crièrent : « Vive le duc d’Orléans ! »

En 1788, lors des troubles qui éclatèrent à Grenoble, quand fut instituée, malgré l’opposition du Parlement, l’assemblée provinciale du Dauphiné, les femmes du peuple prirent parti pour le Parlement. Quand fut connu l’arrêt d’exil lancé contre les parlementaires par le comte de Clermont-Tonnerre, elles s’opposèrent au départ du Parlement, contribuèrent à ameuter le peuple contre la troupe, assurèrent sa victoire dans la journée des Tuiles, participèrent aux négociations avec M. de Clermont-Tonnerre et le Parle-

  1. D’Argenson. Loc. cit.
  2. Mercier. Loc. cit.