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Il n’est pas rare d’ailleurs de voir, à divers moments et dans diverses régions de la France, la famine pousser les femmes à l’émeute.

En 1694, à Toulouse, les femmes, rendues furieuses par le haut prix des denrées, se réunissent autour de la maison d’un magistrat du Parlement, le conseiller Daspe, et se livrent deux jours à des manifestations bruyantes.

Un demi-siècle plus tard (1747), dans la même ville, la même cause amène les même effets : la disette sévit, les femmes s’attroupent et pillent des barques remplies de grains[1]. Vers la même époque, en Basse-Normandie, des accapareurs ont fait monter démesurément le prix des céréales, des femmes du peuple s’attroupent sur les routes de la banlieue de Caen, arrêtent les voitures d’orge et forcent les conducteurs à leur livrer les céréales à bas prix[2].

Peu auparavant, une émeute bien plus grave et dont les causes sont presque analogues, a éclaté à Rouen. Le gouvernement royal vient d’établir des droits sur le coton brut qui arrive d’Amérique. L’élévation du prix du coton a eu pour conséquence de retirer le gagne-pain à des centaines de femmes qui vivent de la filerie du coton, l’achetant elles-mêmes et le travaillant à domicile. La misère en est résultée et les fileuses de Rouen sont arrivées à un état d’exaspération inquiétant. Le 22 avril 1752, une femme, qui achetait quelques livres de coton et le trouvait trop cher, donne un soufflet à un commis ; celui-ci riposte ; il est houspillé par les femmes qui s’attroupent sur le marché. Les émeutières entraînent les hommes au pillage des entrepôts de grains et déchaînent une jacquerie de 16 000 fileuses et fileurs de coton[3].

À la veille de la Révolution, les émeutes féminines causées par la cherté ou la rareté des céréales deviennent plus fréquentes. Dans un grand nombre de provinces, en particulier dans le Berry et en Normandie, les autorités provinciales signalent que des femmes se sont attroupées et ont pillé les voitures ou les magasins de blé. Le 23 avril 1789, à Caen, un attroupement de femmes se produit : elles veulent le blé à trois livres le boisseau et l’orge à douze livres le sac. Les marchands le leur refusant, elles s’emparent des céréales, les payant suivant le prix qu’elles ont elles-mêmes fixé, d’abord,

  1. Dubédat. Histoire du Parlement de Toulouse.
  2. Arch. Départ., Calvados, G. 2644.
  3. D’Argenson. Loc. cit.