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partie du lamentable troupeau. Les cohortes de la police s’abattent sur elles dans la rue, vont les chercher jusque dans leur chambre, les entassent dans un chariot découvert où elles se tiennent debout, cahotées, exposées au froid et à la pluie, « les plus huppées obtenant de leurs gardiens, à prix d’argent, un véhicule couvert ». Les voilà devant le tribunal. Devant une petite table où se tiennent le commissaire et son secrétaire, des femmes comparaissent traînées par des gardes-françaises. « La voix du magistrat tombe, résonnant comme un glas aux oreilles de Julie, de Barbe, de Louison : « Arrêtée ! À la Salpétrière[1]. »

Le règlement de ces établissements a été élaboré, sous une forme définitive, par Colbert (1678). À la Salpétrière, à Bicêtre, la femme doit laisser toute espérance.

Elle est rasée ; vêtue d’une robe de bure, chaussée de sabots, elle sera soumise à un dur travail et à une rigoureuse discipline. « On les fera travailler, dit le règlement royal, le plus longtemps et aux ouvrages les plus rudes que leurs forces le pourront permettre…[2] » Du pain et un potage composent toute leur nourriture. Bicêtre, où elles sont dirigées lorsqu’elles sont malades et doivent être soignées, semble avoir été un véritable enfer. La discipline est terrible, elles sont entassées dans une promiscuité repoussante. « Ce lieu semble ôter le dernier frein de la pudeur et de l’amour-propre…, leur vie avilissante s’écoule dans la terreur des mauvais traitements et le dégoût pour la nourriture infecte qu’on leur sert. Quand elles ont à se plaindre de la nourriture, elles poussent, à intervalles réguliers, des cris qui se propagent à une lieue à la ronde[3]. » Aussi sont-elles folles de terreur à l’idée d’entrer dans une pareille géhenne. « On en a vu se tuer en s’entendant condamner. Cependant on condamne à l’hôpital avec légèreté et il y régulièrement cinq ou six cents filles enfermées qui attendent la cure ou la mort[4]. »

En province, où les filles publiques sont moins nombreuses mais où elles foisonnent cependant dans les villes de garnison, elles sont soumises à des lois encore plus rigoureuses, car elles passent moins facilement inaperçues et, à la rigueur des édits du roi, s’ajoute celle des règlements municipaux.

En exécution d’ordonnances ministérielles, on a établi dans

  1. Goncourt. Loc. cit.
  2. Dictionnaire de la police : Filles.
  3. Mercier. Loc. cit.
  4. Ibid.