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le temps du moins où elles sont jeunes et jolies, échappé aux servitudes de leur classe et brisé momentanément la loi d’airain. Mais voici tout un prolétariat lamentable qui, issu des ouvrières des faubourgs et des campagnardes échappées à la glèbe, et poussées à la débauche par la misère, y trouve, avec presqu’autant de misère, un plus rigoureux asservissement.

Soumises à des lois d’exception, mieux véritables outlaws, les « filles du monde » ainsi que sont appelées alors les prostituées et sont bien à cette époque plus qu’à d’autres, des parias de la société.

En cohortes nombreuses et désordonnées, elles se pressent sur les promenades publiques de la capitale. Parmi elles, le Palais-Royal tient une place à part. « Le libertinage, dit Mercier qui en donne une description fort vivante, y est éternel… Les Athéniens élevaient un temple à leurs Phrynés ; les nôtres trouvent le leur dans cette enceinte. » Sous les galeries où s’ouvrent des boutiques luxueuses, où la nuit tombée s’allument les tripots, grouille une foule cosmopolite.

C’est en effet les courtisanes de tout rang qui, particulièrement l’après-midi à cinq heures et le soir à onze heures, parcourent les galeries, « appelant d’un « st, st, st, » provinciaux et étrangers qui viennent là chercher un plaisir facile et les louer à l’heure comme des carrosses[1]. » Le Palais-Royal présente un spectacle si offensant pour les bonnes mœurs que la promenade est délaissée par les honnêtes femmes et les citoyennes vertueuses et qu’on songea un instant à l’interdire aux « filles du monde ».

Celles qui font du Palais-Royal le centre de la débauche et qui, par la même occasion, amènent de la clientèle aux tripots qu’elles achalandent, sont encore le plus souvent et bien que leur existence soit précaire, jolies, séduisantes et parées. Mais d’autres, trop pauvres pour s’habiller convenablement et qui n’ont pour toute garde-robe qu’une paire de chaussures et un jupon blanc et ne veulent pas les salir dans la boue ou la poussière, n’osent pas aller elles-mêmes sur les promenades. Elles restent enfermées toute la journée dans des chambres garnies, si nombreuses aux environs du Palais-Royal, « bouges infects que des tenanciers, qui exploitent leur inconduite, leur font payer le double du prix qu’ils exigeraient d’une femme honnête. Et elles envoient racoler pour elles de vieilles marcheuses ridées sous le poids des vices[2] ».

  1. Mercier. Loc. cit.
  2. Mercier. Ibid.