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mide de la galanterie que nous décrit Mercier, les déplacements sont constants et les ascensions, comme les chutes, rapides.

Au-dessous de celles qui éblouissent Paris par un luxe parfois éphémère, vient une sorte de classe moyenne de la galanterie, la foule des danseuses et des chanteuses de moindre envergure, des ouvrières de la mode ou de lingerie, des petites bourgeoises qui, n’étant pas professionnelles et dépourvues de l’orgueil et de la passion d’éblouir Paris et d’éclipser les rivales qui apparaissent dominantes chez les courtisanes, sont plus simples, plus douces et se laissent volontiers aller aux impulsions de leurs cœurs. « Celles-là qui, dit Mercier, ont mis de la tendresse où jusque-là on n’avait pas eu l’idée d’en mettre » [1] sont l’une des grâces du xviiie siècle et peut-être l’un des aspects les plus originaux.

Écoutons Goncourt qui a pénétré profondément leur psychologie : « Des femmes galantes moins en vue se dessinent à demi dans une lumière sans éclat qui leur donne une douceur et semble leur laisser une modestie. L’amour vénal qu’elles représentent emprunte à la jeunesse de leurs goûts, à l’air qu’elles respirent, à la campagne qu’elles habitent, je ne sais quelle innocence légère mêlée à un vague parfum d’idylle… Le xviiie siècle cache parmi ses courtisanes toute une famille de femmes semblables qui sauvent tout ce que la femme peut sauver d’apparences dans le vice aimable, tout de de constance dans l’amour qui se livre et qui s’attache. Aux agréments spirituels, à l’indulgence native, à la bonté expansive, à l’attitude rêveuse, à des dehors et à un certain goût de sentiment, elles joignent un respect du monde qui leur donne une sorte de respect d’elles-mêmes[2]. »

Celles-ci inspirent des passions moins éclatantes que les grandes courtisanes, mais sans doute plus sincères.

La Mazarelli[3], Manon Lescaut avant sa chute, sont, celle-ci dans le roman, celle-là dans la réalité, le type achevé de ces gentilles courtisanes qui ont pour nous tout le charme des grisettes de la Vie de Bohême et qui mènent une existence heureuse, remplie par les jeux charmants, les propos lestes, les promenades sentimentales dans la campagne et de légers romans.

Celles-là aussi ont, tout comme les grandes courtisanes et pour

  1. Mercier. Tableau de Paris.
  2. Cf. Goncourt. Loc. cit.
  3. Ibid.