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Toutes les fois que des femmes veulent exercer un métier qualifié sans être entrées dans les cadres corporatifs, les corporations masculines protestent et s’efforcent de faire interdire aux concurrentes l’exercice de leur travail. Au xviiie siècle par exemple, il existait à Dijon un grand nombre d’ouvrières tapissières qui travaillaient librement à découper des étoffes, à les orner de galons et à en garnir les chaises et fauteuils. Leur activité semble avoir été grande et leur travail fructueux. Il le fut assez pour que les ouvriers tapissiers vissent dans ces travailleuses des concurrentes gênantes pour leurs propres bénéfices. Ils demandèrent que personne ne put exercer sans lettres de maîtrise. En vain, les ouvrières protestèrent, se déclarant aussi habiles que les hommes, signalant que la requête des ouvriers tapissiers tendait à leur ôter les moyens de gagner leur vie et devait avoir pour résultat de faire hausser la main-d’œuvre. Le Parlement de Dijon, bien qu’elles eussent trouvé en son sein quelques libres défenseurs, interdit aux ouvrières tout travail pouvant faire concurrence à la corporation des tapissiers. Des étoffes ornées de galons furent saisies chez l’une d’entre elles[1]. Le travail à domicile même fut pourchassé. Cependant des tapissières libres continuèrent de travailler mais, naturellement, dans des conditions assez précaires.

C’est là un des nombreux épisodes de la lutte entre le travail libre et les corporations. Il montre combien était difficile la situation des ouvrières qui, pour une cause ou une autre, n’avaient pas pu prendre place dans les communautés de métiers.

iii. Les Édits de 1776 et de 1777 et la place des femmes dans la vie corporative

La situation défavorable faite aux femmes par le régime corporatif fut l’une des raisons qui furent mises en avant par Turgot lorsque, par son célèbre édit de février 1776, il fit abolir les corporations de métiers, jurandes et maîtrises.

« L’esprit de monopole qui a présidé à la confection de ces statuts (des communautés d’arts et métiers) a été, disait le préambule de l’édit, jusqu’à exclure les femmes des travaux propres à leur sexe tels que la broderie, qu’elles ne peuvent exercer pour leur propre compte…

« Nous voulons abroger cette institution qui repousse un sexe

  1. Arch. Com., Dijon, G. 10.