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moins implicitement, on reconnaît à la femme noble le droit d’exercer les mêmes fonctions qu’un gentilhomme. C’est là encore une survivance du régime féodal.

D’autre part, les femmes — et non plus seulement une catégorie assez restreinte de grandes dames, mais les bourgeoises avec les femmes nobles — jouent un grand rôle dans l’évolution littéraire et la transformation des mœurs.

Les femmes firent le succès de l’Astrée. Les Précieuses polirent à la fois la langue et la société. Elles formèrent cet « esprit de conversation » qui, pendant deux siècles, donna à la société française son aspect caractéristique, son génie particulier.

Fixant pour de longues années, en disciples intelligents de d’Urfé, l’idéal amoureux. Mlle  de Scudéri et Mme  de Lafayette ont contribué grandement à aiguiller la littérature française dans la voie de la psychologie.

Dans la chambre bleue d’Arthénice se forme et s’épure la langue française, précieux métal dans lequel seront coulées tant de belles œuvres ; autour de Mme  et Mlle  de Rambouillet, de Mme  de Maure, de Mlle  de Scudéri, se réunissent les beaux esprits, ridicules sans doute par l’affectation de leur langage et la subtilité de leurs discussions, mais dont le culte du beau langage, l’amour désintéressé des belles lettres, créeront cette atmosphère de serre chaude dans laquelle la pensée française produisit ses plus belles fleurs. « Le monde précieux, dit avec juste raison M. Lanson, a été l’école où se sont formés les Bussy et les La Rochefoucauld, les Sévigné et les Lafayette, les Maintenon et les Ninon, c’est-à-dire les plus exquis exemplaires de la société française dans la seconde moitié du siècle ». Les femmes sont l’âme de tous les cénacles, l’esprit de tous les salons. Le goût des femmes fait la loi, imposant la clarté, l’unique et admirable clarté de nos chefs-d’œuvre classiques. Sous leur influence, l’amour devient la préoccupation essentielle du monde et, la littérature classique étant mondaine, la psychologie amoureuse, le seul but de la recherche des analystes du cœur humain. Et l’un des aspects, le principal peut-être de notre littérature classique, s’explique par la royauté de l’esprit féminin.

Dès cette époque, d’aucuns ne laissent pas d’apercevoir le choquant contraste entre l’importance du rôle tenu par les femmes dans la vie politique sociale et littéraire et la condition inférieure où les tient toujours la loi civile et religieuse. Le sentiment de cette contradiction, le désir de la résoudre en faveur des femmes suscite, pendant un peu plus d’un demi-siècle, de très nombreuses apologies du sexe faible. Le premier historien des femmes et du féminisme, Thomas, en cite une vingtaine et, s’il a eu entre les mains un assez grand nom-