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altérer le dogme ni changer les bases de la société, s’appuyant exclusivement sur « la justice, la droiture et la souveraine raison », démontrant d’ailleurs ses thèses par l’histoire ancienne et moderne et par une analyse pénétrante du mécanisme de la société française au xive siècle, Christine de Pisan établit l’égalité naturelle des deux sexes et, comme plus tard Poulain de la Barre, Condorcet et Stuart Mill, en tire les conséquences logiques : la possibilité, la nécessité de dispenser à la femme une éducation aussi complète qu’à l’homme, la légitimité des aspirations féminines à l’exercice des professions et métiers masculins, le haut intérêt moral et social que présente l’émancipation féminine. Son Trésor des Dames et sa Cité des Dames, trop ignorés aujourd’hui, sont la première expression du féminisme tel que nous le concevons. C’est sur ces deux œuvres que semblent être calquées les innombrables apologies des femmes qui paraîtront aux xviie et xviiie et qui n’auront pas toujours autant de vigueur.

Ainsi, à la fin du moyen-âge, le féminisme est né. Il va se développer largement aux siècles suivants et parce qu’il trouve forcément sa place dans l’œuvre des écrivains qui, à la lumière de la raison, se mettent à analyser les ressorts du cœur humain et le mécanisme de la société, et parce que le mouvement hostile à l’émancipation morale, intellectuelle ou politique de la femme ne cesse de s’accentuer et suscite comme au moyen-âge de puissantes réactions, et parce qu’enfin, bien que les droits des femmes ne cessent de se réduire, on voit à certaines époques de crise, où la féodalité et l’esprit féodal reprennent vie, certaines femmes jouer un rôle très important, tenir une large place dans la vie du pays et témoigner d’une intelligence et d’une énergie que leur dénient leurs contempteurs.

Dès l’aurore de la Renaissance, et pendant tout le cours du xvie siècle, les apologies des femmes fleurissent, si nombreuses qu’elles finissent par devenir, en Italie et en Espagne, un genre littéraire commun. En France, elles apparaissent dès l’aurore de la Renaissance. Au début du xvie siècle, l’humaniste Guillaume Dufour, prédicateur de la Cour, plus tard inquisiteur et évêque de Marseille, compose, sous l’inspiration d’Anne de Bretagne, l’histoire des femmes célèbres depuis la création jusqu’à la Pucelle d’Orléans. Il s’agit, dit notre auteur, de faire comme le désire la reine, un ouvrage destiné à défendre les femmes contre la méchanceté des auteurs qui, « de langue ou de plume », se sont acharnés après elles ; à en parler loyalement et sagement, et à faire ressortir la prudence, le courage et la vertu de toutes les femmes illustres du temps ancien et du temps présent. L’ouvrage, où la Sainte Vierge et les prophétesses bibliques voisinent avec les déesses mythologiques, les héroïnes de l’histoire romaine, les baronnes du moyen-âge et Jehanne