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ment part à la vie politique. Mais, si diminués que soient, sous cette double influence, les droits féminins, il n’en subsistera pas moins, à l’époque moderne et jusqu’à la Révolution, d’importants vestiges. Le statut politique de la femme au moyen-âge est l’un des éléments essentiels de la condition féminine à l’époque moderne ; on ne saurait, sans le rappeler, comprendre l’action de la femme noble dans telles périodes fort importantes de notre histoire moderne, la Ligue, la Fronde, ni le rôle parfois si grand encore que jouèrent au xviiie siècle, dans la vie provinciale et locale, les femmes nobles et les bourgeoises possédant des terres féodales, ni enfin la participation des corporations religieuses féminines et des femmes nobles aux élections pour les États généraux de 1789.

L’attribution des droits politiques se conciliait, d’ailleurs, au moyen-âge avec la persistance des idées touchant l’infériorité naturelle du sexe féminin. Les sermonnaires et les auteurs de fabliaux et contes populaires en étaient les interprètes. Dans la famille, et en présence de son mari, la femme restait serve, lors même qu’elle détenait un grand fief, lors même que, comme dans la vallée de Saint-Savin, elle était, à l’exclusion de son mari, seule propriétaire de la maison et du domaine familiaux. Ses droits politiques même ne laissaient pas, en dépit des coutumes qui les consacraient, d’être souvent contestés, et nombreux étaient les hommes, barons, ecclésiastiques, érudits, poètes satyriques qui voulaient ramener les femmes dans l’antique gynécée.

Aussi, au rebours de ce que nous avons vu se produire à l’époque moderne, l’antiféminisme précède le féminisme et, par une réaction naturelle, le suscite. Vers la fin du moyen-âge, le féminisme, à peu près inconnu jusqu’alors, apparaît. Il prend plusieurs formes bien différentes. Issue, peut-être par une filiation indirecte et lointaine des antiques religions orientales qui placent, à l’origine des choses, le principe féminin et font d’Éros le grand démiurge, la chevalerie fait de l’amour le mobile dernier des actions humaines, exalte la femme, la place sur un plan supérieur à celui de l’homme, plus près du divin. Les hérétiques, Albigeois et Vaudois, directement issus du gnosticisme, proclament l’égalité morale et spirituelle de l’homme et de la femme, donnent à la femme une place importante dans la hiérarchie de leur église : s’inspirant d’eux, poussant jusqu’au bout leurs théories, une mystique, Guillelmine de Bohême, créera une église féminine et songera à s’asseoir sur le trône de saint Pierre. Christine de Pisan enfin, la première, élabore un corps de doctrine féministe dans le même esprit et avec la même méthode que les modernes défenseurs des droits de la femme. Sans faire appel à un mysticisme transcendant, sans prétendre, ainsi que le font Guillelmine ou les féministes albigeois,