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aussi pleinement capable que l’homme, que, même hors de la puissance maritale, elle n’est pas, comme lui, maîtresse de ses biens.

Cet esprit antiféministe persistera jusqu’à l’époque moderne et contemporaine dans toutes les législations issues du droit romain. Il est nécessaire d’en avoir une idée pour comprendre la situation faite à la femme du xviiie siècle par les coutumes et les lois.

Si le christianisme a contribué à modifier la condition de la femme, ce n’est d’abord que pour la rendre plus défavorable, l’esprit sémitique, dont il est issu, étant, plus encore que l’esprit romain, antiféministe et la Bible ajoutant aux croyances presque universelles sur l’infériorité physique et morale de la femme le poids du péché. Quand le christianisme triomphe, ce triomphe coïncidant d’ailleurs avec les invasions des Barbares qui ont détruit tout l’ordre des choses anciennes, la femme retombe dans une presque complète servitude.

Sous les législations qui sont en vigueur à partir du ve siècle dans l’ancien empire romain, la femme ne compte plus ni dans la famille ni dans l’État. Comme la matrone romaine des anciens âges, elle est entièrement « dans la main de ses tuteurs légaux ».

L’établissement du régime féodal amène une transformation nouvelle des institutions et des mœurs. La femme en bénéficie. Sans doute le droit canon, qui est la loi de l’Église, qui inspire la loi civile et souvent tient lieu de cette loi, considère, suivant l’avis des théologiens et particulièrement du plus illustre d’entre eux, saint Thomas, la femme comme un être inférieur dont la destination est d’obéir à l’homme comme la destination de l’homme est d’obéir à Dieu, et tient tout manquement à cette obéissance comme une rébellion contre Dieu même. Le droit romain et le droit coutumier issu du droit germanique consacrent en effet la dépendance de la femme, l’inégalité de ses droits. Fille, elle doit abandonner à ses frères tout l’héritage paternel ; femme, elle est entièrement dans la main du mari qui dispose, comme il l’entend, de sa fortune, a le droit légal de la battre et, si elle le trompe, de la tuer.

Ne comptant pour rien dans la famille, privée de tout droit civil, la femme tient du droit féodal une très large place dans la société. L’organisation politique est fondée alors sur la possession de la terre. Or, si le propriétaire du sol n’a pas d’héritier mâle, c’est sa fille qui, après lui, le détient. S’il laisse un enfant en bas âge, c’est sa veuve qui administre, en son nom, le patrimoine. Or, lorsqu’il s’agit d’une terre noble, d’un fief, l’administration du domaine implique des droits et des obligations auxquelles nous attribuons — et qui ont en effet — un caractère politique, mais qui, alors, étaient considérés comme étant partie intégrante de la propriété. Vassale, la femme prête hommage à son suzerain, siège à sa cour de justice, peut au besoin conduire elle-même son contin-