Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

En place, tel ministre, souvent, ne dure que par des intrigues de sa protectrice ou de sa femme.

Ne suffit-il pas, à en croire tel témoin, que la femme d’un ministre se plaise à la Cour pour que le roi maintienne celui-ci en place. Lorsque Rouillé tomba, « sa disgrâce, dit d’Argenson, était depuis deux ans nécessaire ». Mais le roi se refusait à lui demander sa démission. « Ce serait bien s’il se retirait, aurait dit Mme de Pompadour, mais sa femme se plaît à la Cour… et pour ne pas fâcher sa femme, on aimait mieux compromettre les intérêts des plus grandes puissances d’Europe[1]. »

Sans doute, d’Argenson, à son habitude, exagère ; il n’en est pas moins vrai que les influences féminines n’ont cessé de se manifester autour des ministres pour les maintenir en place. Inversement, la plupart des disgrâces ministérielles ont aussi pour cause — sinon profonde et réelle, du moins immédiate et apparente — l’hostilité déclarée d’une femme au pouvoir. Pour ne citer que les plus illustres de ces disgrâces, le comte d’Argenson et Machault succombèrent lorsqu’ils furent en guerre ouverte avec Mme de Pompadour, Choiseul ne put tenir contre Mme du Barry, Turgot et Necker durent en grande partie leur disgrâce à l’hostilité qu’ils rencontrèrent de la part de Marie-Antoinette ou de son entourage. Les faits sont connus, voire classiques. Mais il importe de les replacer dans leur cadre.

Moins connue, moins éclatante que l’action des favorites ou de la reine dans l’attribution des portefeuilles et l’ouverture des crises ministérielles, l’action des femmes n’est pas moins constante, moins efficace lorsqu’il s’agit de pourvoir aux innombrables postes administratifs, militaires, diplomatiques ou religieux qui sont l’apanage des fils de familles nobles ou de grande bourgeoisie. C’est à la lettre ou presque que se vérifient les paroles de Montesquieu que nous avons citées et il faudrait passer en revue toutes les nominations d’ambassadeurs, d’intendants, d’évêques ou de colonels pour montrer, dans toute leur infinie variété, les manifestations de l’influence féminine.

Nominations de généraux ou d’ambassadeurs se font dans l’entourage immédiat du roi et de la reine.

Ce n’est pas faussement que le sentiment populaire attribua à Mme de Pompadour l’élévation des incapables généraux qui perdirent les batailles et ne tinrent même pas l’honneur sauf, au cours de la guerre de Sept Ans : Soubise, de Clermont. Mais ceux

  1. D’Argenson. Loc. cit.