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par son procureur[1], mais elle a plus d’honneurs que d’autorité. Et c’est surtout par l’étiquette à laquelle elle est soumise et le luxe qui l’entoure que se manifeste son importance dans l’État. La maison de la reine, presqu’aussi importante que celle du roi, comprend un très nombreux personnel. Jusqu’à Marie-Antoinette, qui prend l’habitude de se faire accompagner de valets de pied[2], ce personnel doit être exclusivement féminin. Toute une hiérarchie de dames d’honneur, de dames d’atour doit l’assister, comme le roi les gentilshommes, dans tous les actes de sa vie, entourés, comme ceux même du souverain, d’un cérémonial compliqué. Il faut lire dans les souvenirs de Mme  Campan la description de la toilette de Marie— Antoinette pour avoir une idée du degré de subtilité atteint par l’étiquette : une dame d’honneur tend la chemise, la première dame d’atours prépare le jupon et la robe. Mais qu’une princesse du sang se présente ; elle a le droit de passer la chemise à la reine et doit la recevoir par le double intermédiaire de la dame d’honneur et de la dame d’atours, quitte à la céder, s’il s’en présente une, à une autre princesse plus proche du trône, toujours par la même voie compliquée. Un jour, la duchesse de Chartres et la comtesse de Provence revendiquèrent ainsi la prérogative de la chemise devant Marie-Antoinette qui resta de longs instants nue, frissonnante et exaspérée, murmurant : « C’est odieux[3]. » Même cérémonial pour recevoir un verre d’eau et même voyage du plateau dans des mains de plus en plus augustes. La reine ne pourrait, même si elle le voulait, s’affranchir de cette étiquette, seul reste pour elle des prérogatives souveraines. Marie-Antoinette, qui avait passé son enfance au milieu d’une cour plus simple et moins fastueuse, l’essaya vainement et commença de perdre à ce jeu sa popularité[4].

Très effacée depuis deux siècles — et cet effacement avait été complet avec Marie-Thérèse et Marie Leczynska — la reine va de nouveau avec Marie-Antoinette jouer un rôle à la Cour. Ce rôle elle le jouera — et ceci est très important — non parce qu’elle est reine, mais parce qu’elle aura su, par sa séduction personnelle, dominer l’esprit du roi. Son influence sera de même nature et se manifes-

  1. Dictionnaire de jurisprudence.
  2. {Mme}} Campan. Mémoires.
  3. Ibid.
  4. Cependant elle rétablit, pour son amie la princesse de Lamballe, la charge de surintendante de la Maison de la reine qui était un vrai ministère de l’étiquette et donnait à sa titulaire une puissance quasi souveraine sur l’organisation de la vie de la reine.