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femme, quasi esclave dans sa personne et dans ses biens, une tutelle perpétuelle et ne lui reconnaissent d’autre rôle que de donner des enfants à son mari et de filer la laine à la maison familiale. Nul changement ou presque jusqu’à la deuxième guerre punique. Mais, au iie siècle avant l’ère chrétienne, l’influence hellénique accomplit son œuvre de dissolution morale et sociale. Les cadres de la famille et de la cité s’élargissent ou se brisent ; la femme s’émancipe. Elle sort du gynécée, relâche le lien marital par la pratique du divorce, s’instruit et tend de plus en plus à se mêler aux affaires de la cité. Malgré les efforts des défenseurs de l’ordre moral ancien, tel le vieux Caton au début du iie siècle, l’empereur Tibère deux siècles plus tard, qui essaient, l’un en maintenant strictement les lois sur le luxe, l’autre en interdisant aux femmes des magistrats et gouverneurs de s’ingérer dans les affaires publiques, l’évolution se poursuit. Sous l’Empire, le droit la consacre en partie : peu à peu, la femme, dégagée des entraves légales, cesse d’être une mineure pour devenir, presqu’au même titre que l’homme, libre de toutes ses actions. Presqu’aussi instruite que son mari dans les classes élevées, participant, dans les classes inférieures, aux mêmes travaux, pouvant user facilement du divorce, elle devient, dans la société conjugale, presque l’égale de l’homme. Différents subterfuges légaux lui donnent la disposition pleine et entière de sa fortune ; veuve, elle peut être tutrice de ses enfants, et, le cas échéant, recueillir leur héritage. Sans qu’aucune loi positive les y autorise, mais aucune loi ou coutume contraire ne le leur interdisant, les femmes peuvent exercer la plupart des professions masculines : elles sont hommes d’affaires, doctoresses, avocats consultants. Lorsqu’elles approchent du trône, on les voit, sous les premiers des douze Césars et surtout sous les Sévère, jouer un rôle politique des plus importants ; mieux, les femmes de la classe moyenne et populaire obtiennent, sans même, semble-t-il, avoir eu la peine de la revendiquer, une participation légale aux affaires de leur municipe. L’Italie du Sud, les Baléares, l’Afrique du Nord, l’Asie Mineure, nous offrent des exemples nombreux de citoyennes prenant part aux votes ou élevées aux honneurs.

Cependant, la loi est bien loin de consacrer toutes ces conquêtes. Si, dans la pratique, il se plie aux mœurs nouvelles, l’esprit du droit romain est hostile à la femme. Car, pour le juriste romain, la muliebris impotentia de Tacite reste article de foi et une complète égalité légale de l’homme et de la femme serait, à ses yeux, monstrueuse. Aussi est-ce un axiome du droit romain que « sur beaucoup de points la condition des femmes est inférieure à celle des hommes ». Des mesures législatives comme le sénatus-consulte Velléien, qui interdisait à la femme de s’obliger pour autrui, montrent que la femme n’est pas jugée