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Tout homme en place a une amie qui est parfois en même temps la maîtresse, mais qui ne l’est pas toujours et qui est, avant tout, la confidente intelligente et sûre, celle à qui l’on peut tout dire et dont on est assuré de la discrétion, celle à qui d’abord on s’en remet du soin de faire sa fortune politique, littéraire, voire religieuse et dont, une fois arrivé en place, on sollicite, avant de réaliser une entreprise, les conseils judicieux.

Sur ce rôle capital joué par les amies, les témoignages des contemporains sont nombreux : « Un homme adroit, dit l’un, mettait dans ses intérêts une jeune femme pour ses plaisirs, une femme d’âge mûr pour ses intrigues et son ambition à la Cour et plusieurs vieilles femmes considérées qu’il soignait pour qu’elles le soutiennent dans la société[1]. »

« Faites-vous des amies plutôt que des amis, dit Mme  de Tencin à Marmontel, car, au moyen des femmes, on fait tout ce qu’on veut des hommes, et puis ils sont, les uns trop préoccupés de leurs intérêts personnels pour ne pas négliger les vôtres, les autres trop dissipés, au lieu que les femmes y pensent, ne serait-ce que par oisiveté. Mais de celles que vous croirez pouvoir vous être utiles, gardez-vous d’être autre chose que l’ami[2]. »

Déjà, Montesquieu avait prononcé à ce sujet des phrases définitives :

« Lorsque j’arrivai en France, dit Rica, je trouvai le feu roi absolument gouverné par les femmes… J’entendis une femme qui disait : Il faut que l’on fasse quelque chose pour le jeune colonel ; sa valeur m’est connue, j’en parlerai au ministre ». Une autre disait : « Il est surprenant que ce jeune abbé ait été oublié ; il faut qu’il soit évêque. » Il ne faut pourtant pas que tu t’imagines que celles qui tenaient ces discours fussent des favorites du prince ; elles ne lui avaient peut-être pas parlé deux fois dans leur vie. Mais c’est qu’il n’est personne qui ait quelque emploi à la Cour, à Paris ou dans les provinces, qui n’ait une femme par les mains de laquelle passent toutes les grâces et quelques-unes des injustices qu’il peut faire… Ces femmes ont toutes des relations les unes avec les autres et forment une véritable république dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement. C’est comme un nouvel état dans l’État. Et celui qui est à la Cour, à Paris, dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats, s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme celui qui voit

  1. De Ségur. Loc. cit.
  2. Marmontel. Mémoires.