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que, comme au temps des chevaliers poètes du xiiie siècle, il l’élève sur un piédestal mystique, au-dessus des faiblesses humaines et qu’il fasse de l’amour spirituel le mobile dernier des actions ; mais il salue dans la femme la reine du plaisir, l’arbitre des élégances et du bon ton, l’organisatrice des fêtes et aussi la sûre confidente, l’amie dévouée, la fine et intelligente conseillère qui, sachant mieux que l’homme lire au fond des cœurs, pourra guider d’une main ferme et souple et conduire à la fortune en louvoyant habilement au milieu des écueils de la Cour le mari, l’amant, le frère, le fils ou simplement l’ami. Car, bien que la haute société française ait sous la régence, Louis XV et Louis XVI, donné droit de cité aux amours illégitimes, ce serait se tromper grossièrement que d’attribuer l’influence aux seules maîtresses. Les rois, les ministres et les courtisans écoutent parfois, rarement il est vrai, leur femme légitime ; les mères, las sœurs tiennent une grande place. Deux exemples illustres entre tous : Mme de Tencin, sœur du cardinal, et la duchesse de Grammont, sœur du duc de Choiseul. Celle-ci exerça une telle action sur son frère que sa fortune sembla un instant balancer celle de Mme de Pompadour. Et l’amitié qui unissait le frère et la sœur était si forte qu’elle mit à la mode à la Cour l’affection fraternelle, et que tous les gentilshommes de la Cour se cherchèrent une sœur à chérir. Le monde parlementaire suit le mouvement et tel grave magistrat ne prend aucune décision importante sans consulter sa sœur[1].

Les mères, naturellement, sont particulièrement soucieuses de faire la fortune de leurs enfants et les belles-mères celle de leur gendre ; les unes et les autres nous apparaissaient fort souvent consultées et exerçant une assez grande action.

C’est la mère qui donne à son fils cette politesse et ce bon ton qui lui permettent de réussir à la Cour[2] puis, par de constantes démarches auprès des ministres et des gens en place, le pousse dans le monde et fait finalement sa fortune.

Parfois c’est la fille à laquelle appartient l’influence : les filles de Louis XV eurent, à certaine moments, assez d’empire sur l’esprit du roi pour que l’on put se servir d’elles contre les favorites.

Enfin, en dehors de toutes les relations plus définies, les amitiés entre hommes et femmes, plus développées qu’on ne le pourrait croire en un siècle aussi totalement dépourvu de préjugés et de retenue, jouèrent leur grand rôle et peut-être essentiel.

  1. Augeard. Mémoires secrets.
  2. De Ségur. Loc. cit.