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daines, ses plaisirs particuliers ; ils se voient rarement et presque toujours sans aucune intimité, sans nulle communion de pensée. Conclue sans amour, l’union reste sans affection ; c’est de part et d’autre la correction, l’indifférence polie. Et le mari se croirait la plupart du temps manquer aux devoirs mondains s’il imposait à sa femme un amour excessif dont la marque serait une jalousie tyrannique. Rien de curieux comme certaines confidences de femmes qui voudraient se sentir aimées, protégées et que leur mari, pour courir plus vite à ses plaisirs, abandonne à elles-mêmes. « Je ne résisterai pas à l’ennui d’une si grande absence, écrit à son mari qui part pour quelques jours Mme  d’Epinay…, il n’y a que quatre heures qu’elle dure et elle m’est déjà insupportable…, je me crois seule dans l’Univers[1] ! » Et quel désespoir lorsque le hasard d’une visite chez un orfèvre du Palais-Royal lui fait découvrir un portrait finement encadré de M. d’Epinay, par lui destiné à une autre femme, ou lorsque devant elle qui saisit le billet à peine lu, le volage époux reçoit une lettre de quelque fille d’Opéra ! Les premières pages des mémoires de MMme  d’Epinay abondent en scènes analogues, jolies et touchantes où l’on voit l’épouse offrir un amour dont on ne veut pas, solliciter une protection qui se dérobe. Écoutons, d’ailleurs, le réponse de M. d’Epinay aux cris de désespoir arrachés par la lettre découverte : « Quand je ferais comme tout le monde, cela ne devrait pas vous tourmenter, cela ne diminuerait en rien la tendresse pour vous. Est-ce que le petit P… n’a pas une maîtresse ? Et, cependant, il adore sa femme… »

Tous les maris, sans doute, n’ont pas l’indifférence absolue de M. d’Epinay et certains d’entre eux entendent, tout en trompant leur femme, rester les maîtres de leur cœur. Le prince de Conti se montrait, nous rapporte Barbier, d’une jalousie féroce, au point d’interdire à sa femme de souper en son absence avec des convives masculins et d’amener, par ses scènes continuelles et ses mauvais traitements, sa femme à abandonner le domicile conjugal. Le duc de Bourbon, fils du premier ministre de Louis XV, apprenant que sa femme avait un amant, la séquestra après l’avoir battue et seules les prières de sa maîtresse, Mme  d’Egmont, craignant qu’on ne la tint pour responsable cette manière d’agir, amenèrent le prince à se relâcher de sa rigueur[2].

Mais, sauf chez certains princes de sang affligés d’un caractère « sauvage », il est très rare de voir dans la haute société un mari

  1. Mme  d’Epinay. Mémoires.
  2. D’Argenson. Mémoires.