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davantage… Les petites gens ont besoin de s’aimer pour être heureux dans leur ménage. Mais, pourvu que les gens riches vivent décemment ensemble, leur aisance les met d’accord. Mais, ma fille, du courage, de la gaieté et tout ira bien. — Le père sort après avoir prononcé ces mots ; la fille, qui cache dans son sein une amoureuse faiblesse, écrit à son amant qu’on la marie malgré elle, mais que l’hymen lui rendra ce que l’usage lui ravit… Six semaines après, elle a l’art d’installer son amant dans sa société[1]. »

Ainsi le mariage est presque toujours le mariage de convenances. Mais le jeune homme n’est guère plus libre de son choix. « Ton futur ne te connaît pas davantage, dit le père à sa fille », et il est bien vrai qu’en effet le jeune homme, tout comme la jeune fille, est marié par ses parents.

En prévision peut-être de cet événement et sachant qu’elle n’aura pas voix au chapitre pour le choix d’un époux, la jeune fille s’est souvent prémunie en nouant une intrigue avec un galant de son choix. S’il faut en croire Mercier, la plupart des jeunes filles agissent ainsi et elles vont tellement loin que, dans la capitale du du monde, une vraie jeune fille est l’oiseau rare. Une industrie fort répandue à Paris serait, à en croire, celle du marchand d’illusions. « Peu de jours avant le mariage, écrit-il, elle va trouver le sieur Maille pour acquérir le vinaigre réparateur qui rend confiance aux époux et fait également disparaître les attentats du violateur et la victoire de l’amant chéri. »

Mercier généralise abusivement. Sans doute, malgré les obstacles qui semblaient s’opposer à ce qu’une jeune fille pût se laisser aller aux entraînements de la passion, les scandales furent assez nombreux. Parfois les mémorialistes nous parlent d’enlèvements romanesques, telle cette jeune personne de quatorze ans, fille d’un gros financier, qui se fait enlever par le marquis de la Roche-Corbon[2], et souvent les princesses du sang elles-mêmes, telle Mlle de Charolais, mènent-elles, jeunes filles encore, une conduite extraordinairement légère. Cependant, la femme qui prend un amant avant le mariage est, même dans le monde particulièrement dépravé de la Cour, une exception.

Une fois mariée, en tout cas, la femme jouit d’une pleine et entière liberté. Les premiers jours écoulés, il est de bon ton pour les époux de vivre chacun sa vie avec une entière liberté. Le mari et la femme ont chacun son cercle de relations, ses obligations mon-

  1. Mercier. Tableau de Paris.
  2. Barbier. Journal.