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folie de spéculation qui entraîne alors tout le monde dans son tourbillon — et d’imiter le luxe de la cour. L’ouvrière, elle, sent à peine sa misère. L’ordre règne, et l’heure est peu favorable aux revendications quelles qu’elles soient. D’ailleurs les révolutionnaires sont d’accord avec les puissances établies pour excommunier par avance la femme qui voudrait s’affranchir. Le puissant génie même de Proudhon, en tant de matières si grand, si hardi précurseur, se cabre devant la femme libre et, dédiant sans sourire les chapitres que, dans son livre la Justice dans la Révolution et dans l’Église, il consacre à la femme, au cardinal archevêque de Besançon, il semble, pour la ramener à la juste conception de son rôle : auxiliaire de l’homme, emprunter la férule d’un saint Paul ou d’un Tertullien. « Ménagère ou courtisane », l’aphorisme célèbre résume en effet fidèlement sa pensée. Inférieure à l’homme par la force physique, par le sens moral, par l’esprit, incapable de saisir les rapports intimes des choses, impuissante à former les idées générales, en un mot privée totalement de génie, que la femme s’humilie ! Par son abaissement volontaire seul, elle pourra s’exalter.

Point par point, mais avec un parti pris tellement évident qu’il ne peut convaincre, et une froide violence qui rebute, Proudhon semble, dix ans avant l’apparition de l’Assujettissement des femmes, réfuter Stuart Mill… Et, réciproquement, le plaidoyer du philosophe anglais est la meilleure des répliques au réquisitoire de Proudhon, qu’il paraît d’ailleurs avoir ignoré.