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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE. 3S1

prime ainsi : « Autres sont les instructions à donner aux hommes, autres celles qui conviennent aux femmes. Aux uns, on peut imposer un joug pe- sant, aux autres, il faut un joug plus doux ; à ceux-ci, les grandes épreuves, à celles-là, des épreuves plus légères, qui les convertissent doucement. Ce qui est peu de chose pour les forts est beaucoup pour les faibles. » Au sur- plus, l’usage des viandes communes flatte moins que celui de la chair des poissons ou des oiseaux. Cependant saint Benoit ne nous les interdit pas, et l’Apôtre, en faisant la distinction de toutes les espèces de viande, dit : c Toute chair n’est pas même chair ; celle des hommes n’est pas celle des animaux ; autre est celle des oiseaux, autre celle des poissons. » La loi du Seigneur a mis au nombre des chairs à lui offrir en sacrifice celle des ani- maux, celle des oiseaux, et point celle des poissons, afin qu’on ne croie pas que la chair du poisson est plus pure à ses yeux que celle des animaux. En effet, le poisson est une chair d’autant plus dispendieuse et plus onéreuse pour les pauvres, qu’elle est moins abondante et moins fortifiante ; elle coûte davantage et ne nourrit pas autant.

Prenant donc en considération les ressources des hommes et leur nature, nous n’interdisons « je le répète, que le superflu. Nous recommandons l’u- sage modéré des viandes et de tous les autres aliments, en telle sorte que l’abstinence soit plus sévère chez les religieuses, tous les aliments leur étant permis, que chez les religieux, à qui certains aliments sont interdits. Nous voulons que l’usage de la viande soit réglé de telle façon qu’elles n’eu mangent qu’une fois par jour ; qu’on ne serve jamais deux portions de viandes différentes a la même personne ; qu’on n’y ajoute aucune garniture de légumes, et qu’on ne puisse user de chair plus de trois jours par se- maine, savoir : le dimanche, le mardi et le jeudi, quelles que soient les fêtes qui tombent dans les intervalles ; car plus grande est la solennité, plus il la faut célébrer par l’abstinence. C’est à quoi saint Grégoire de Na- zianze, ce remarquable docteur, nous engage vivement dans son troisième livre de la Chandeleur ou de la seconde Epiphanie. • Célébrons, dit-il, cette fête, non en nous livrant aux plaisirs de la table, mais en nous abandon- nant aux pures joies de l’esprit. » Et ailleurs, au quatrième livre de son traité sur la Pentecôte et F Esprit-Saint ; « Ce jour est le jour de notre fête, dit-il ; amassons dans le trésor de nos cœurs quelque chose de durable, d’éternel, non de ces choses qui passent et se dissolvent. Le corps a assez de ses mauvais penchants, il n’a que faire de plus de matière ; c’est une bête insolente, gardons-nous de la rendre plus insolente par une abondante nourriture : elle nous tourmenterait plus violemment. » Il faut donc célé- brer les fêtes tout spirituellement. C’est aussi ce que recommande, dans sa lettre sur la Manière de recevoir les présents, saint Jérôme, fidèle à la doc- trine de son maître, i Nous devons moins nous inquiéter, dit-il, de célébrer les fêtes par l’abondance de la chère que par les joyeux tressaillements de l’esprit : il serait absurde d’honorer par des excès de table un martyr qui