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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

sions faire plus facilement notre salut et nous consacrer plus purement à Dieu, « Une fille, dit l’Apôtre, ne pèche pas pour se marier ; mais, mariée, elle souffrira dans sa chair des maux que je veux vous éviter. » Et encore : « Une femme qui n’est point mariée et qui est vierge, ne pense qu’aux choses du Seigneur, en sorte qu’elle est sainte de corps et d’âme ; mais celle qui est mariée pense aux choses de ce monde, elle cherche comment elle plaira à son mari. Je vous le dis donc dans votre intérêt, non pour vous tendre un piège ; je vous le dis pour vous engager à ce qui est bien, à ce qui vous donnera la facilité de prier Dieu sans obstacle. »

Or, ou n’est jamais plus libre de le faire, que lorsque, s’éloignant matériellement du monde, on se renferme dans les cloîtres, de façon à ne plus être troublé par les bruits du siècle. Mais ce n’est pas seulement à celui qui se soumet à la loi, c’est à celui qui l’impose de prendre garde, en multipliant les commandements, de multiplier les péchés. En venant en ce monde, le Verbe de Dieu a abrégé la loi. Moïse l’avait développée, bien que, comme dit l’Apôtre, « ce ne soit pas la loi qui conduise à la perfection. » En effet, ses commandements étaient si nombreux et d’une observation si difficile, que l’apôtre Pierre déclare que personne n’a pu en soutenir le poids, f Mes frères, dit-il, pourquoi tenter Dieu, en imposant à vos disciples im joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? Nous croyons que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ nous sauvera et eux aussi. »

C’est en peu de mots que Jésus-Christ a prescrit à ses Apôtres les règles de la pureté des mœurs et de la sainteté de la vie, en peu de mots qu’il leur a enseigné la perfection. Écartant les préceptes austères et difficiles, il n’en a donné que de doux et de faciles, et il y a renfermé toute la religion. «i Venez â moi, dit-il, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous réconforterai. Imposez-vous mon joug, apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau léger. »

En effet, il en est souvent des œuvres de sainteté comme des choses du siècle. Ce sont bien souvent ceux qui peinent le plus qui gagnent le moins ; de même, ce ne sont pas toujours ceux qui paraissent le plus éprouvés, qui ont le plus de mérite devant Dieu : Dieu regarde les cœurs plutôt que les œuvres. Plus on est occupé aux choses du dehors, moins on peut vaquer au soin des choses du dedans ; d’autant que, plus on est connu des hommes qui jugent sur les dehors, plus on acquiert de gloire parmi le monde, plus on se laisse égarer et enfler par l’orgueil. C’est pour prévenir cet égarement que l’Apôtre rabaisse grandement le mérite des œuvres et augmente celui de la foi. « Si Abraham, dit-il, a été justifié par ses œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu. En effet, que dit l’Écriture ? Abraham crut en Dieu, et cela lui a été imputé à vertu. » Et encore : « Que disons-nous donc ? que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont atteint la