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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HELOÏSE.

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Que dirons-nous, je vous prie, nous qui, pour qu’il nous fasse plaisir à boire comme à voir, y mêlons du miel, des plantes, toute espèce d’ingrédients ? nous qui voulons boire encore par l’odorat ?

Forcé de tolérer l’usage du vin, saint Benoît disait : « Nous n’y consen- tons qu’à la condition expresse qu’on ne boira pas jusqu’à l’ivresse, mais avec mesure ; car le vin fait apostasier même les sages. » Plût à Dieu que nous en fussions à nous contenter de boire jusqu’à satiété, et que nous ne nous laissions pas aller, par une transgression plus grave, jusqu’à l’excès ! Saint Augustin, dans sa règle pour les monastères qu’il avait établis, dit : « Le samedi seulement et le dimanche, selon la coutume, on donnera du vin à ceux qui en voudront. » C’était autant par respect pour le dimanche et pour les vigiles du dimanche, qui ont lieu le samedi, que parce que les frères, dis- persés d’ordinaire dans leurs cellules, se réunissent ce jour-là, ainsi que saint Jérôme le rappelle dans la Vie des Pères, où il est dit eu parlant d’un mo- nastère qu’on appelle la Celle : « Chacun reste dans sa cellule ; le samedi et le dimanche seulement, on se rassemble à l’église, et là, tous se rangent comme réunis dans le ciel. » Voilà pourquoi c’était une tolérance convenable que celle qui procurait quelque plaisir à la communauté réunie, alors que les frères sentaient plus qu’ils ne disaient, « combien c’est chose bonne et douce d’habiter sous le même toit ! »

Actuellement, si nous nous abstenons de viande, est-ce un si grand mé- rite, quand nos tables sont chargées d’une quantité superflue d’autres ali- ments ? nous achetons à grands frais toute espèce de poissons ; nous mélan- geons les saveurs et des épices ; gorgés de vin, nous y ajoutons encore des liqueurs fortes : l’excuse de tout cclav c’est l’abstinence des viandes à vil prix, abstinence devant le monde, encore : comme si c’était la qualité et non la superfluité des aliments qui faisait la faute ! Ce que Dieu nous défend, c’est la gourmandise et l’ivrognerie, c’est-à-dire, la superfluité, et non la qualité de la nourriture et du vin.

Aussi saint Augustin ne craint-il dans la nourriture que le vin, et ne fait-il aucune distinction d’aliments ; il lui suffit qu’on s’abstienne de vin, ainsi qu’il le recommande en peu de mots. « Domptez votre chair par le jeùjie et par l’abstinence dans le boire et le manger, dit-il, autant que votre santé vous le permettra. » 11 avait lu, si je ne me trompe, ce passage des Exhortations de saint Athanase aux moines : « Pour les jeûnes aussi, on ne doit pas les mesurer à sa volonté, mais à la possibilité, qui s’étend en raison de l’effort. Que les jeûnes aient lieu tous les jours, sauf le dimanche ; qu’ils ne soient pas l’objet d’un vœu. » C’est comme s’il eût dit : si l’on a fait le vœu de jeûner, il faut le tenir en tout temps, excepté le dimanche. 11 n’assigne d’ailleurs aucune règle aux jeûnes : la mesure, pour chacun, c’est sa santé. « Il ne regarde qu’à la force du tempérament, » est-il dit ; « il permet à chacun de se fixer une règle, sachant qu’on ne pèche en rien, quand on observe U mesure en tout. » 11 tient ce langage, sans doute, pour que nous