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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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c Tout ce qui peut enivrer et ébranler la raison, fuyons-le à l’égal du vin. i D’après la règle de saint Pacôme, nul, à l’exception des malades, ne doit toucher au vin ou à une liqueur quelconque. Qui de vous ignore que le vin ne convient nullement aux moines, et que jadis les religieux l’avaient en telle horreur que, pour s’en détourner, ils l’appelaient Satan ? Aussi, lisons- nous dans les Vies des Pères : • Quelqu’un rapporta un jour à l’abbé Pas- teur qu’un certain moine ne buvait pas de vin, et il leur dit « Le vin ne c convient nullement aux moines. 1 Et quelques lignes plus bas : t Un jour qu’on célébrait des messes dans le monastère de l’abbé saint Antoine, on trouva un vase rempli de vin ; un des vieillards en versa dans une coupe qu’il porta à l’abbé Sisoï et qu’il lui offrit ; l’abbé Sisoï but ; on lui offrit une seconde coupe, il but encore. Mais lorsqu’on lui en offrit une troi- sième, il refusa, disant : t Assez, frère ; ne savez-vous pas que c’est Satan c qui est là dedans ?» Et ailleurs encore, au sujet de l’abbé Sisoï : « Le vieillard dit à ses disciples, qui lui demandaient si ce ne serait pas beau- coup boire, un jour de sabbat ou le dimanche, à l’église, que de boire trois coupes de vin : « Non, si ce n’était pas Satan, ce ne serait pas beaucoup. » Saint Benoît n’avait pas oubjié ce principe, lorsqu’il permettait le vin aux moines dans une certaine mesure, i Nous lisons bien, sans doute, dit-il, que le vin ne convient nullement aux moines ; mais c’est une chose qu’au- jourd’hui il serait difficile de leur persuader. »

11 n’est donc pas étonnant que saint Jérôme, qui n’autorisait l’usage du vin pour les hommes qu’avec restriction, le défende absolument aux fem- mes dont la nature est plus faible, bien qu’elle résiste mieux à l’ivresse. En effet, dans les règles de conduite qu’il donne à la vierge Eustochie pour conserver sa virginité, il lui tient ce chaleureux langage : a Si je suis ca- pable de donner quelque conseil, et si l’expérience mérite confiance, voici le premier avis, la première prière que j’adresse à une épouse du Christ : qu’elle fuie le vin comme un poison. Ce sont les premières armes des dé- mons contre la jeunesse. La cupidité ébranle moins profondément, l’orgueil rend moins superbe, l’ambition a moins d’attraits. Nous nous débarrassons aisément des autres vices : celui-ci est un ennemi enfermé au cœur de la place ; partout où nous allons, nous le portons avec nous. Vin et jeunesse, double foyer de volupté. Pourquoi jeter de l’huile sur le feu ? Pourquoi alimenter un brasier ardent ? > Cependant les expériences de la physique ont démontré que le vin a moins de prise sur les femmes que sur les hommes. Et Théodore Macrobe en donne la raison dans son livre des Saturnales, quand il dit : i Selon Aristote, les femmes s’enivrent rarement, les hom- mes souvent. La femme a le corps très-humide ; ce qui le prouve, c’est le poli et l’éclat de sa peau ; ce qui le prouve surtout, ce sont les purgations qui la débarrassent périodiquement d’un excès d’humeur. Lors donc que le vin qu’elle a bu tombe dans ce large courant d’humeur, il perd sa force, ses vapeurs s’éteignent et ne montent plus au cerveau. • Et encore : « Le corps