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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE. 30J

Qu’y a-t-il donc d’étonnant que, pour ne pas exposer au péché, on accorde une chose qui n’en renferme aucun , c’est-à-dire qu’on permette, en lait d’aliments, tout le nécessaire, à la seule exclusion du superflu ? Car, je le répète, il n’y a point du mal à manger. Le mal est dans la gourmandise, c’est-à-dire qu’il consiste à vouloir ce qui n’est pas permis, à désirer ce qui est interdit, à prendre sans pudeur, comme il arrive parfois, ce qui peut causer un très-grand scandale.

XII. Parmi les aliments des hommes, en est-il un d’aussi dangereux, d’aussi contraire à nos vœux et au repos de la sainteté, que le vin ? Aussi le plus grand des sages nous détourne-t-il avec grand soin d’en user. « Le vin, dit-il, est une source d’intempérance ; l’ivrognerie est la mère du désordre. Quiconque se plaît à boire n’est pas sage. À qui malheur ? au père de qui malheur ? à qui les querelles ? pour qui les précipices ? pour qui les bles- sures sans sujet ? pour qui les yeux battus ? si ce n’est pour ceux qui s’at- tardent à boire et qui font étude de vider les coupes ? Ne regardez pas le vin et ses reflets d’or, quand son éclat resplendit dans le cristal. Il entre en ca- ressant, mais il finit par mordre comme la couleuvre ; semblable au basilic, il répand le poison. Vos yeux verront ce qui n’existe pas, votre cœur parlera à tort et à travers. Et vous serez comme un homme endormi en pleine mer, comme un pilote assoupi qui a lâché le gouvernail, et vous direz : c Us m’ont accablé de coups, et je ne m’en suis pas aperçu ; ils m’ont traîné, et je ne l’ai point senti. Et vous répéterez : quand me réveillerai-je et trouverai-je encore du vin ? 1 Et ailleurs : « Ne donnez pas, non, ne donnez pas du vin aux rois, Lamuel ; où règne l’ivresse, il n’y a plus de secret : le vin pourrait leur faire oublier la justice, et ils trahiraient la cause des enfants du pauvre. » Et dans l’Ecclésiaste : • L’ouvrier adonné au vin ne deviendra jamais riche ; celui qui néglige les petites choses, tom- bera peu à peu. Le vin et les femmes font apostasier les sages et condamner les gens sensés. >

Le prophète Isaïe, passant sur tous les autres aliments, signale le vin comme une des causes de la captivité du peuple, t Malheur, dit-il, à vous qui vous levez dès le matin pour vous livrer à l’ivresse et pour boire jus- qu’au soir, jusqu’à ce que le vin vous ait fait perdre le sens ! Le luth et la harpe, le tambour, la flùle et le vin, voilà ce qui règne à vos tables, et vous ne songez pas à l’œuvre de Dieu ; c’est pour cela que mon peuple a été conduit en captivité, parce qu’il n’a pas eu l’intelligence. Malheur à vous qui êtes puissants à boire et vaillants à vous enivrer ! » Du peuple il étend ses reproches jusque sur les prêtres et les prophètes. « Eux aussi, dit-il, ils sont tellement aveuglés par le vin qu’ils ne se connaissent plus : l’ivresse les fait trébucher. Le prêtre et le prophète, dans leur ivresse, ne se connaissent plus ; ils sont pris de viu, ils trébuchent, ils n’ont pas connu la prophétie, ils ont ignoré le jugement ; toutes les tables sont souillées des traces, de leurs dégoûtantes orgies ; il n’y a pas une place propre. A qui le