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QUESTIONS D’HÉLOÏSE ET RÉPONSES D’ABÊLARD. 481

DIX-NEUVIÈME QUESTION D’HELOÏSE.

Que signifie ce qui suit : c Ne cherchez pas à juger pour n’être point jugé ; car, comme vous jugerez, tous serez jugé ? » Est-ce à dire que, si nous por- tons un jugement injuste, nous en subirons un semblable ?

Réponte éCAbélard.

« Ne jugez point. ». Gela veut dire : ne prenez pas sur vous d’accabler quelqu’un sous le poids d’une sentence sévère, sans preuve. Lorsqu’il y a faute manifeste, la chose se juge d’elle-même, votre jugement n’est pas né- cessaire. • Ne jusez pas prématurément, dit l’Apôtre, puisque le Seigneur viendra, qui éclairera le secret des cœurs. » Le Seigneur vient en révélant le secret des cœurs, quand, par sa grâce, ce qui était caché apparaît au grand jour, ou quand, suivant la loi qu’il a donnée, nous cherchons à éclaircir quelque faute secrète, ou quand, la preuve faite, nous infligeons un châtiment ; et alors, à vrai dire, c’est lui-même qui juge et qui punit plutôt que nous. « Comme vous jugerez, vous serez jugé ; » c’est-à-dire, vous ne devez point vous hâter, dans un jugement, de prononcer et d’accabler ; vous vous exposeriez à encourir auprès de Dieu le même jugement, la même sé- vérité accablante. Enfin il ne dit pas : Ne jugez pas, mais « ne cherchez pas à juger, 1 en ce sens que nous ne devons pas de nous-mêmes noms faire juges, ce que parfois nous sommes condamnés à être, quand l’office nous en est commis.

VINGTIÈME QUESTION D’HÉLOÏSE.

Nous cherchons aussi le sens de ce qu’il ajoute à la suite : t Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites le pour les autres. C’est la Loi et les prophètes, » Si quelqu’un veut nous entraîner dans la complicité du mal, lui devons-nous notre concours ?

Réponse d’Abélard.

11 y a deux préceptes relatifs à l’amour du prochain : l’un, celui qui est énoncé ici, l’autre que nous lisons dans Tobic, quand il dit à son fils : « Ce que tu n’aimerais pas qu’autrui te fit à toi-même, garde-toi de le faire toi-même à autrui. » Ce précepte est applicable au bien comme au mal. De même que nous ne devons pas faire aux autres le mal que nous ne voudrions pas qu’on nous fit, de même, nous devons être prêts a faire aux autres le bien que nous voudrions qu’on nous fît. Quand donc il est dit : c Ce que vous voulez que le prochain fasse, » c’est comme s’il y avait : ce que, dans votre conscience, vous reconnaissez comme bon qu’on vous fasse. En effet, nul, d ;tns sa conscience, n’approuve la complicité du mal ; nul n’approuve

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