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QUESTIONS D’HÉLOlSE ET RÉPONSES D’ABÉLARD. 463

étouffera sa miséricorde sous sa justice, » et aussitôt : « Et quand tu seras ému de colère, tu te souviendras de la miséricorde. » La miséricorde élève le jugement et honore le juge* plus que la rigueur. Le juge doit donc toujours réunir ces deux qualités, d’abord de ne punir le coupable que par un sentiment de justice, puis de ne pas le punir autant qu’il le mérite, par un sentiment de clémence, ce que le Seigneur appelle la miséri- corde. La miséricorde tire son nom des misérables ; c’est un sentiment de pitié produit par la vue des misères humaines, sentiment qui nous fait re]M>usser l’idée du châtiment moins par faiblesse d’âme que par vertu, qu’il y ait justice ou injustice dans les épreuves qui affligent le malheureux. Ce mouvement de compassion, effet de la nature ou de la raison, est proprement appelé miséricorde, ainsi que l’atteste Sénèque. Quant à la clémence, appelée ici miséricorde, c’est un sentiment de compassion rai- sonné qui nous pousse à soulager ceux à qui nous devons ce soulagement. Quiconque n’a que la justice sans clémence et ne songe qu’à punir sans rien relâcher de la peine, est cruel : est-il dans la situation d’esprit contraire, il est bon.

C’est pour cela que le Seigneur, formant ici le cœur des supérieurs, veut qu’on n’exerce point la justice sans la miséricorde, et associe ces deux vertus comme des compagnes inséparables. Même à l’égard de ceux qui sont punis de mort, il peut y avoir quelque relâchement de peine : on peut abréger le supplice ou chercher le genre de mort le plus doux. Se laisser conduire par d’autres sentiments, c’est s’exposer à cette sentence : « Juge- ment sans miséricorde pour celui qui ne fait pas miséricorde. » En effet, les contraires conviennent aux contraires. De même que les miséricordieux sont dignes de miséricorde, de même ceux qui sont sans miséricorde mé- ritent d’être privés de miséricorde.

Enfin, après les religieux et les princes, arrivant à ceux qui sont dans les liens du mariage, il dit : c Heureux ceux dont le cœur est purl » En disant le cœur et non le corps, il veut indiquer ceux qui se dounent sans réserve au plaisir de la chair et qui s’abandonnent aux entralnemeuts de la concu- piscence. En effet, bien que le commerce conjugal ait ses indulgences alors qu’on y cherche le remède de son incontinence et qu’on ne le poursuit pas, à la manière des bêtes, pour la volupté de la chair, la chair toutefois n’est pas sans recevoir de la tache du plaisir quelque peu de corruption, d’impureté, de souillure. Hais ils sont purs de cœur, sinon de corps, je le répète, ceux qui se livrent à ce commerce non en vue de la volupté, mais pour satisfaire le besoin naturel et sans offenser Dieu par une pensée de débauche. Et eux aussi ils méritent le salut ; ils ne seront donc pas privés de la vue de Dieu, vue dans laquelle consiste la souveraine béatitude. On les appelle encore gens de paix, parce qu’évitant les combats de la chair par les indulgences du mariage, ils n’en usent qu’avec mesure et raison, de façon à mériter de goûter la paix dans le sein de Dieu, qu’ils n’offensent pas par

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