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QUESTIONS D’HÊLOlSE ET RÉPONSES D’ABÊLARD. 463

de voir encore si loin le royaume des cieui. Ces deux genres de larmes sont figurés dans la douleur d’Aza, fille de Caleb ; elle se plaignait que son père lui eût donné une terre aride, elle en demandait une qui fût arrosée : son père lui donna ce terrain arrosé par en haut comme par eu bas. Qu’il appartienne aux religieux de pleurer leurs fautes et celles du prochain, c’est ce que nous enseigne le plus grand maître des règles de la profession, saint Jérôme, quand il dit : « Le rôle du moine est non d’enseigner, mais de se lamenter ; à lui de pleurer sur lui et sur le monde, à lui d’attendre en tremblant l’arrivée du Seigneur : la vie monastique est-elle autre chose qu’une forme de repentir plus sévère ? » Que les moines pleurent donc, je le répète, soit dans cet espoir, soit en vue de mériter les sourires de la consolation dont il est dit : « Us seront vraiment consolés, » attentifs à la promesse que le Seigneur a faite à ses Apôtres, en ces termes : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous vous lamenterez, vous pleurerez, le monde se réjouira et vous serez dans la désolation ; mais votre tristesse se changera en joie, i tandis qu’aux réprouvés il tient ce langage contraire : « Malheur à vous qui riez ! car vous pleurerez. » Les vies contraires, en effet, ont des états et des fins contraires : aux justes qui pleurent, les rires ; aux méchants qui rient, les pleurs. Et les justes qui pleurent leurs fautes ou l’éloignemeut du royaume des deux sont consolés, lorsqu’ils arrivent à cette vie qui est exempte de toute douleur.

« Heureux ceux qui ont faim I » Après la vie des religieux, il passe à la ca- tégorie des supérieurs, y distinguant deux classes, de même qu’il a distingué trois catégories générales. Les supérieurs, dans le peuple de Dieu, sout non- seulement les puissances ecclésiastiques parmi les prêtres, mais les puis, sances séculières parmi les rois. Et il faut remarquer que le nombre deux, qui, selon saint Jérôme, convient aux couples mariés, étant impur ; —- ainsi dit-on que les œuvres de la seconde* heure sont sans valeur, et que les animaux immondes furent enfermés dans l’arche par couple de deux, — c’est avec justesse et convenance que les moines doivent être répartis en trois classes plutôt qu’en deux. Quant aux autres catégories, qui ne se distinguent point par la vertu de continence, le nombre deux leur convient mieux.

La faim ou la soif de la justice est, chez les supérieurs, le vif désir de frapper du châtiment dû. Il faut toutefois qu’ils ne punissent les coupables qu’en proportion de la certitude qu’ils ont de leurs fautes, et que la peine ne soit pas aussi forte que le délit. Autrement leur cœur se trouverait fermé au sentiment de la pitié, s’ils ne relâchaient rien de la peine méritée par les coupables. Le juge céleste, que les Juges de la terre doivent prendre pour exemple, tempère si bien la justice par la miséricorde, que non* seulement il ne punit pas les coupables autant qu’ils l’ont mérité, mais même autant qu’il lui plait, lui dont les œuvres ne sont que miséricorde. C’est ainsi qu’il est écrit : « Ou bieu Dieu oubliera d’avoir pitié, ou bien il