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QUESTIONS D’ItÉLOlSE ET RÉPONSES DABÉLARD. 459

cœur ; il tendra k joue aux soufflets, il se laissera abreuver d’opprobres, parce que Dieu ne le repoussera pas dans l’éternité. 1 Celui-là suit cette loi, qui se soumet, dès sa jeunesse, au joug de la vie monastique, et ne diffère pas de le prendre à l’âge où, épuisé par la vieillesse, il cherche à soulever ce qu’il n’a plus de force à porter ; à l’âge où, soupirant après le repos du corps plutôt qu’après la paix de l’âme, il cherche dans le couvent les plai- sirs du siècle que mensongèrement il prétend fuir. Alors, en effet, ne pou- vant plus travailler, comme un frelon dans une ruche, il ne lait que con- sommer impudemment les richesses amassées par les abeilles ; après avoir épuisé ses forces au service du diable, il vient, cédant à l’affaiblissement de la vieillesse, se livres aux charmes d’un coupable repos, quand ce serait le moment de vivre d’autant plus sévèrement, et de lutter contre ses vices avec d’autant plus d’énergie, qu’il sait qu’il a peu de jours à vivre, et qu’il lui reste à peine le temps de s’assurer, s’il l’a méritée, la palme de la victoire. Le malheureux n’ayant pas eu, dès sa jeunesse, l’habitude de porter son joug succombe sous celui qu’il ne peut soutenir.

11 se tient solitaire, il se tait, voué à la vie monastique, quand, prenant le nom de moine, il cherche à réaliser la perfection de la vie. Moine, en effet, signiBe solitaire, ainsi que l’indique saint Jérôme, quand il dit sous forme de reproche : « Que fais-tu dans la foule, toi qui es solitaire ? » Le moine doit « en tout temps étudier en silence, » dit saint Benoit, établissant, d’après le témoignage d’Isaîe, que le silence est un moyen de cultiver la jus- tice. Et l’Apôtre, recommandant par-dessus toutes les autres cette vertu, dit : « Celui qui ne pèche pas en parole est parfait. » 11 s’élève au-dessus de lui-même, lorsque, maître de lui et se gouvernant, il soumet la chaire l’es- prit ; lorsque, subordonnant sa volonté à celle de Dieu, il triomphe glorieu- sement de lui-même, suivant cette parole : c L’homme patient est supé- rieur à l’homme fort, et celui qui est maître de son cœur à celui qui prend les villes d’assaut. » Il doit se taire, tandis que les autres prônent leur vertu, de peur que, devenu son propre héraut, tout son mérite ne «’évanoui se, et que son orgueil ne l’expose à une chute d’autant plus profonde qu’il ?. serait élevé plus haut.

Qu’il ne dise donc pas qu’il s’est élevé au-dessus de lui-même, dans la crainte de reconnaître la vérité de cette pensée ; qu’il demande plutôt, en tremblant, dans ses prières que la chute lui soit épargnée : en cette vie, il n’y a de victoire sûre pour personne. S’il veut parler de lui, que ce soit pour mettre en lumière, non sa vertu, mais sa faiblesse. De là vient qu’il est dit : « Il se prosternera la face dans la poussière, si quelque espérance point dans son cœur ; » autrement dit : qu’il reconnaisse qu’il n’est qu’une poussière agitée par les tentations du démon, sans force ni cohésion ; et si son cœur est chatouillé par quelque sentiment d’orgueil, qu’il le réprime énergiquement par ces mots : « D’où te vient cette présomption, terre et cendre ? de quoi te flattes-tu, poussière légère, que le vent balaye de la face