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LETTRE D’ABÈLARD AUX VIERGES DU PARACLET. 403

et le même docteur n’omet pas de nous l’apprendre. Voici ce qu’il dit, dans la vie de Pau le, parlant de Paule elle-même :

« Rien de plus souple que son intelligence. Elle était lente à parler, prompte à entendre. Fidèle ù ce précepte : « Écoute, Israël, et tais-toi, » elle tenait de mémoire les saintes Écritures. Enfin elle voulut que je lusse d’un bout à l’autre avec sa fille le Vieux et le Nouveau Testament, en les commentant. Je m’y refusais par un sentiment de réserve ; je finis par céder à ses instances ; sur ses demaudes réitérées, je consentis à enseigner ce que j’avais appris. Là où j’hésitais et déclarais ingénument que je ne savais pas elle ne me laissait pas tranquille ; et, par ses questions pressantes, elle m’obligeait à indiquer parmi les nombreux et différents sens du texte celui qui me paraissait le meilleur. Je relèverai un autre point qui peut-être pa- raîtra invraisemblable à ses émules. La langue hébraïque que j’ai apprise dès ma jeunesse, non sans beaucoup d’application et de peine, que je n’ai jamais cessé d’exercer, que je n’abandonné pas pour n’en pas être aban- donné, elle voulut l’apprendre et elle y arriva : elle chantait les psaumes en hébreu, et prononçait l’hébreu sans le moindre accent latin. C’est ce que nous trouvons encore aujourd’hui chez sa fille Eustochie. C’est qu’elles savaient l’une et l’autre que la science des livres latins est dérivée des livres hébreux et grecs, et qu’un idiome, quel qu’il soit, ne peut être pleinement rendu dans une langue étrangère par une traduction. Aussi les Hébreux et les Grecs, fiers de la perfection de leur langage, aiment-ils à se railler parfois des imperfections de nos traducteurs. Us disent, sous forme de comparaison, qu’une liqueur transvasée perd nécessairement de sa force, et qu’on n’en retrouve pas dans les derniers vases la même quantité que dans le premier. Ainsi arrive-t-il souvent que, lorsque nous cherchons à iuvoquer quelque témoignage contre les Juifs, ils nous réfutent sans peine. Nous ne connaissons pas l’hébreu, disent-ils ; nos traductions, qui sont inexactes, nous trompent, i

Attentives à cette observation, ces femmes si éclairées ne se contentèrent jamais de la connaissance de leur propre langue : elles voulaient être en mesure d’instruire les uns, de réfuter les autres et d’étancher leur soif aux sources les plus pures. C’était Jérôme lui-même, si habile dans ces diverses langues, qui, si je ne me trompe, leur en avait donné l’exemple. Par combien de peines et de travaux il était arrivé à posséder cette perfection d’habileté, il nous l’apprend dans sa lettre à Pammachius et à Océanus.

« Quand j’étais jeune, diUil, j’avais une merveilleuse ardeur d’apprendre, et je ne fis pas comme quelques présomptueux, je ne m’instruisis pas par moi-même ; je suivis avidement, à Antioche, les leçons d’Apollinaire de Laodicée ; je fréquentai son école, et tandis qu’il m’enseignait les saintes Écritures, jamais je n’entrai eu contestation avec lui sur le sens d’un texte. Déjà, cependant, ma tête était parsemée de cheveux blancs, et le rôle de maître convenait mieux à mon Age que. celui du disciple. D’Antioche,