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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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point entendre. Les montagnes couvertes de pâturages sont les vies ou les doctrirtes des saints Pères dont la lecture et la méditation réparent nos forces ; les prairies sont les écrits qui conduisent à la vie céleste, et dont la fraîcheur ne saurait se flétrir.

C’est vers la solitude aussi que saint Jérôme nous pousse, quand il écrit au moine Héliodore : « Cherchez le sens du nom de moine, c’est-à-dire de votre nom. Que faites-vous dans la foule, vous qui êtes solitaire ? » Le même Père, faisant la distinction de notre état et de celui des clercs, écrit en ces termes au prêtre Paul : « Si vous voulez exercer les fonctions de prêtre, si le ministère ou plutôt le fardeau de l’épiscopat a pour vous des charmes, vivez dans les villes et dans les châteaux, et faites votre salut en tâchant de sauver les autres. Si, ainsi que vous le dites, vous désir, z être moine, c’est-à-dire solitaire, que faites-vous dans les villes, qui ne sont pas la de- meure des solitaires, mais celle de la foule ?… Chaque établissement a ses chefs. Pour en venir au nôtre, il faut que les évêques et les prêtres prennent pour exemple les Apôtres et les hommes apostoliques, et qu’ayant leur rang, ils s’efforcent d’avoir aussi leur vertu. Quant à’ nous, prenons comme mo- dèles les Paul, les Antoine, les Hilarion, les Macaire, et, pour en revenir au texte de l’Écriture, que nos chefs soient Élie, Elisée, les enfants des pro- phètes, lesquels demeuraient dans les champs et dans la solitude, et s’éle- vaient des demeures au delà des rives du Jourdain : parmi eux sont les enfants de Rechab, qui ne buvaient ni vin, ni cidre, qui demeuraient soas des tentes, et dont Dieu lui-même fait l’éloge par la bouche de Jcrémie, en leur promettant qu’il y aura quelqu’un de leur lignée dans le ministère du Seigneur. »

Donc nous aussi, si nous voulons demeurer dans le ministère du Seigneur et être toujours prêts à le servir, dressons-nous des tentes dans la solitude. Que la foule n’ébranle pas le lit de notre repos ; qu’elle ne porte pas dans notre tranquillité le trouble, qu’elle ne nous induise pas en tentation, qu’elle n’arrache pas notre esprit à notre profession sainte. Inspiré par le Seigneur, saint Arsène a donné, pour tous, un exemple frappant et propre à inviter à cette tranquillité de la vie libre et solitaire. En effet, il est écrit : « L’abbé Arsène étant encore dans le palais, adressa à Dieu celte prière : Seigneur, conduisez-moi dans le chemin du salut ; et une voix se fit enten- dre, qui lui dit : Arsène, fuis les hommes et tu seras sauvé. » Et plus loin : « Arsène, fuyant le siècle, embrassa la vie monastique, et adressa à Dieu la même prière : Seigneur, conduisez-moi dans la voie du salut. Et il entendit une voix qui lui dit : Arsène, fuis, tais-toi et livre-toi au repos de la con- templation : c’est le moyen de commencer à ne plus pécher. » Pourvu de cette seule règle par le précepte du Seigneur, Arsène se tint loin des hom- mes ; bien plus, il les tint loin de lui. Uu jour que son archevêque était venu pour le voir avec un magistrat, et qu’ils le priaient l’un et l’autre de les édifier par quelques discours, il leur répondit : « Et si je vous dis