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LETTRES D’ABÉLARD ET D’flÉLOlSE.

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pour cela que les enfants des prophètes, qui sont, comme dit saint Jérôme, appelés moines dans l’Ancien Testament, se retirèrent dans la solitude des déserts et se bâtirent des cellules par delà les bords du Jourdain. Saint Jean aussi et ses disciples, que nous regardons comme les chefs de notre ordre, et dans la suite, saint Paul, saint Antoine, saint Macaire, qui ont particu- lièrement illustré notre ordre, fuyant le tumuke du siècle et les tentations dont le monde est rempli, se transportèrent dans la solitude pour y cher- cher le repos de la contemplation et converser plus librement avec Dieu. Le Seigneur lui-même, auprès de qui la tentation ne pouvait avoir d’accès, voulant nous instruire par son exemple, cherchait les lieux retirés et fuyait les bruits de la foule, toutes les fois qu’il avait quelque grand acte à faire. C’est ainsi qu’il a consacré pour nous le désert par un jeûne de quarante jours ; c’est dans le désert qu’il a nourri des milliers d’hommes, se sépa- rant, pour assurer la pureté de sa prière, non-seulement de la foule, mais de ses apôtres eux-mêmes. C’est sur une montagne écartée qu’il instruisit ses Apôtres et les consacra ; c’est le désert qu’il fit resplendir des gloires de sa transfiguration ; c’est sur une montagne qu’il réjouit ses disciples réu- nis par le spectacle de sa résurrection ; c’est d’une montagne qu’il s’est élevé dans le ciel ; en un mot, c’est dans le désert ou sur des lieux écartés qu’il a accompli tout ce qu’il y a de grand dans sa vie. Par ses apparitions dans le désert à Moïse et aux anciens Pères ; par le désert qu’il fit traverser à son peuple pour le mener à la terre de promission et où il le retint si longtemps, — lui dictant sa loi, le nourrissant de sa manne, faisant jaillir l’eau du rocher, le soutenant par ses nombreuses apparitions et par ses miracles, — il nous montre clairement combien il aime pour nous la solitude, qui nous permet de vaquer plus purement à la prière.

C’est encore l’amour de la solitude qu’il dépeint et qu’il recommande sous la figure mystique de l’âne sauvage, quand, parlant au saint homme Job, il dit : c Qui a renvoyé en liberté l’âne sauvage ? qui a délié ses liens ? qui lui a donné une retraite dans le désert, une tente dans une terre propre à le nourrir ? Il méprise la foule des villes, il n’entend pas les cris du créancier, il ne voit que les montagnes de ses pâturages, il ne parcourt que des plaines verdoyantes. » Ce qui veut dire : qui a fait cela, si ce n’est moi ? L’âne sauvage, en effet, que nous appelons âne des bois, c’est le moine qui, affranchi des liens du siècle, s’est-transporté dans le calme et la liberté de la vie solitaire, fuyant le monde et n’y voulant pas rester. 11 habite une terre de pâturages, parce que l’abstinence a iriaigri et desséché ses mem- bres. Il n’entend pas les cris du ciéancier, mais seulement sa voix, parce qu’il n’accorde à son ventre rien de superflu et se règle strictement sur le nécessaire. Est-il, en effet, un créancier aussi importun, un créancier qui se présente tous les jours aussi régulièrement que le ventre ? Et il ne crie jamais, c’est-à-dire il ne fait jamais de demaudes immodérées que pour une nourriture superflue ou délicate, — demandes auxquelles il ne faut