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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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langue qu’ils s’attachent à former. C’est à eux que s’adresse clairement Salomon dans ses Proverbes, lorsqu’il dit : « Le cœur ’du sage cherche la science, et la bouche de l’insensé se repaît d’ignorance ; i cela, sans doute, quand il se plaît ù répéter des paroles qu’il ne comprend pas : « Et certes, ils doivent d’autant moins aimer Dieu et s’enflammer pour lui, qu’ils sont plus éloignés de le comprendre et d’entendre l’Écriture qui nous le fait comprendre. »

Deux causes particulièrement ont, selon nous, contribué à cette igno- rance : d’abord l’envie des frères laïques ou convers, et même des supé- rieurs ; ensuite le vain partage et l’oisiveté que nous voyons aujourd’hui régner dans la plupart des monastères. Dans leur désir de nous attacher avec eux aux choses de la terre plutôt qu’aux choses du ciel, ces moines ressemblent aux Philistins qui persécutaient Isaac, tandis qu’il creusait des puits, et qui comblaient ces puits avec de la terre pour l’empêcher d’avoir de l’eau. C’est ce que saint Grégoire définit dans son seizième livre des Morales, lorsqu’il dit : « Souvent, tandis que nous nous appliquons aux saintes Écritures, nous avons à lutter contre les embûches des esprits malins, qui jettent dans nos yeux la poussière des pensées de la terre et les fermeut à la lumière de la vue intérieure. » Ce que le Psalmiste n’avait que trop éprouvé, quand il disait : « Éloignez-vous de moi, esprits méchants, et je scruterai les commandements de mon Dieu : » faisant entendre par là clai- rement qu’il ne pouvait scruter les commandements de Dieu, tandis que son esprit était en lutte^avec les embûches des malins esprits.

C’est ce que marque aussi dans l’œuvre d’Isaac la méchanceté des Philis- tins, qui remplissaient de terre les fossés qu’il avait creusés. En effet, nous creusons des puits, lorsque nous pénétrons dans les profondeurs du sens des divines Écritures, et les Philistins les comblent secrètement, quand, parmi nos méditations profondes, ils nous suggèrent les pensées terrestres de l’es- prit du mal, et nous ferment, pour ainsi dire, les sources de la science divine que nous avons découvertes. Et comme personne ne peut triompher de tels ennemis par sa propre vertu, il est dit par Éliphas : < Le Tout-Puissant sera contre vos ennemis, et vous amasserez des trésors, n C’est comme s’il était dit : tandis que le Seigneur, par sa puissance, éloignera de vous les malins esprits, le trésor de la divine parole s’augmentera en vous. Il avait lu, sans doute, les homélies sur la Genèse du grand philosophe des chrétiens, d’Ori- gène, et il y avait puisé ce qu’il nous dit de ces puits. Car non-seulement c’était un foreur ardent des puits spirituels, non-seulement il nous engageait à venir boire de leur eau ; mais il nous exhortait à forer des puits nous- mêmes, ainsi qu’il le dit dans le développement de sa douzième Homélie : « Essayons de faire ce que la sagesse nous enseigne en disant : buvez de l’eau de vos fontaines et de vos puits, et ayez une fontaine à vous. » Et vous aussi, mon cher auditeur, tâchez d’avoir un puits, une source à vous, afin que, lorsque vous aurez pris un livre des saintes Écritures, vous puissiez