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1£TTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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l’intelligence de l’auditeur, « qui prendra le rôle du peuple ? » c’est-à-dire qui parmi les assistants, dont le rôle est de répondre, se chargera de répondre pour le peuple, qui ne peut pas, qui ne doit pas le faire ? Comment dira-t-il amen, ne sachant si c’est daus une bénédiction ou dans une malédiction que vous l’engagez ? Enfin, comment ceux qui ne comprennent pas les Écritures pourront-ils se permettre des discours édifiants, exposer, interpréter la règle, ou en corriger les abus ?

Aussi ne sommes-nous pas peu étonnés, —c’est une inspiration du démon, — qu’il ne se fasse dans les monastères aucune étude pour l’intelligence des Écritures, qu’on s’occupe d’exercer au chant et à la prononciation des mots, et point d’en donner la compréhension ; comme, si pour la brebis, bêler était plus utile que paître. L’intelligence de la divine Écriture est l’ali- ment et la nourriture spirituelle de l’àme. C’est ainsi que le Seigneur, desti- nant Ézéchiel à la prédication, le nourrit d’un livre qui coula aussitôt de ses lèvres comme un doux miel. Nourriture dont il est écrit dans Jérémie : « Les enfants ont demandé du pain, et il ne s’est trouvé personne pour le leur rompre. » Car c’est rompre le pain aux enfants que de donner anx simples l’intelligence des lettres. Et ces enfants qui demandent du pain sont ceux qui désirent nourrir leur âme de l’intelligence de l’Écriture, ainsi que le dit ailleurs le Seigneur : « J’enverrai la faim sur la terre, non pas une faim de pain ni une soif d’eau, mais la faim d’entendre la parole de Dieu. »

Le démon, au contraire, a envoyé dans les cloîtres des monastères la faim et la soif d’entendre les paroles des hommes et les bruits du monde, en sorte qu’occupés d’un vain partage, nous repoussions la parole divine qui, faute des doux assaisonnements de l’intelligence, nous paraît sans goût. C’est de là que David disait, ainsi que je l’ai rapporté plus haut : « Que ces paroles sont douces à mou gosier ! elles sont plus douces que le miel à mes lèvres. » Et il explique aussitôt en quoi consiste cette douceur : « Vos préceptes m’ont donné l’intelligence ; » c’est-à-dire : « C’est par vos préceptes et non par ceux des hommes que j’ai reçu l’intelligence ; ce sont eux qui m’ont instruit et éclairé, i Quelle est l’utilité de cette intelligence, il n’oublie pas de la montrer. « C’est pour cela, ajoute-t-il, que j’ai haï toutes les voies d’ini- quité. J) 11 est, eu effet, beaucoup de voies d’iniquité si manifestement ou- vertes, qu’il est difficile que tout le monde n’en vienne pas à les haïr ou les mépriser ; mais ce n’est que par l’intelligence de la parole divine que nous pouvons connaître toutes celles qui existent, et les éviter. C’est de là que David dit encore : « J’ai caché mes paroles dans mon coeuf, afin de ne pas vous offenser. » Elles sont cachées dans notre cœur plutôt qu’elles ne ré- sonnent sur nos lèvres, lorsque la méditation en a fixé l’intelligence* Ainsi moins nous nous appliquons à cette intelligence, moins nous connaissons* moins nous évitons les voies d’iniquité, et moins nous pouvons nous pré- munir contre le péché.