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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSB.

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Il était déjà dans le petit lit d’oii il était prêt à répondre au bien-aimé frap- pant à sa porte : « Je me suis dépouillé de ma robe, comment la reprendrai- je ? J’ai lavé mes pieds, puis-je les salir ? »

Quiconque désire vivre dans la solitude de la paix monastique doit donc se réjouir d’avoir un petit lit plutôt qu’un grand, car c’est de ce lit que la Vérité a dit : i Qu’on prenne l’un et qu’on laisse l’autre. » C’est que, ainsi que nous le lisons, le petit lit de l’épouse n’est autre chose que le lit d’une âme contemplative étroitement unie au Christ et s’atlachant à lui d’un sou- verain désir. Et ce lit, dès qu’on y est entré, on n’est jamais abandonne. t Eu veillant toute la nuit dans mon petit lit, dit-elle, j’ai cherché celui que chérit mon âme. » C’est de ce petit lit que, dédaignant ou craignant de se lever, elle fait au bien-aimé qui frappe la réponse que j’ai rappelée tout à l’heure. Uin de son lit, elle ne voit que des souillures dont elle craint de salir ses pieds.

Dina n’est sortie qu’une fois pour aller voir des étrangers, et elle s’est perdue ; et, comme un moine cloîtré nommé Halchus l’entendit un jour dire à sou abbt’s comme il en fit lui-même l’expérience, la brebis qui sort de la bergerie tombe bientôt sous la dent du loup.

Ne formons donc pas une communauté trop nombreuse dont les besoins nous invitent à sortir, que dis-je ? nous y obligent et nous fassent faire le bien des autres à notre détriment, semblables au plomb qu’on met dans le creuset pour conserver l’argent. Craignons, au contraire, qu’une fournaise trop ardente de tentations ne consume à la fois le plomb et l’argent. On objectera que Jésus-Christ a dit : « Je ne rejetterai pas celui qui sera venu à moi. » Mi nous non plus nous ne voulons pas rejeter ceux qui sont admis, mais nous voulons qu’on regarde à ceux qu’on recevra, en sorte qu’après les avoir admis, nous ne soyons pas exposés à être rejetés nous-mêmes à cause d’eux. Car si nous ne croyons pas que le Seigneur ait rejeté aucun de ceux qu’il avait admis, il en a repoussé qui se présentaient, puisqu’à celui qui , lui disait : « Maître, je vous suivrai partout où vous irez, » il a répondu :, « Les renards ont des tanières, etc. •

H nous avertit encore de calculer les dépenses de toute entreprise, avant de l’exécuter. « Quel est, dit-il, celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne compte de sang-froid ce qu’elle lui coûtera et s’il aura de quoi la mener à bonne fin, de peur que, ne pouvant l’achever après en avoir jeté les fondemeuts, tous ceux qui la verraient ne se moquent de lui et ne disent : cet homme a commencé de bâtir et il n’a pu aller jusqu’au bout ? » C’est beaucoup pour chacun de faire son propre salut. 11 est dangereux de prendre à sa charge le salut de plusieurs, quand c’est à peine si l’on peut suflirc à la garde de soi-même. On ne garde, d’ailleurs, avec sollicitude, que lorsqu’on a pris l’engagement de le faire avec tremblement. Nul ne persévérera dans une entreprise, autant que celui qui a hésité et réfléchi avant de s’y lancer. Les femmes y doivent donc mettre d’autant plus de réflexion que leur fai-