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LETTRES D’ABELARD ET D’HÉLOÎSE.

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Le Seigneur avait choisi un petit nombre d’apôtres, et parmi ceux qu’il avait choisis, il se trouva un apostat, ce qui lui fait dire : c Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? et cependant il se trouve parmi vous un démon. » Tel avait été Judas parmi les disciples, tel fut Nicolas parmi les sept diacres. Lorsque les apôtres n’avaient encore réuni qu’un petit nombre de fidèles, Ànanias et Saphira, sa femme, méritèrent d’être frappés d’une sentence de mort. De tous ceux qui s’étaient d’abord attachés à suivre le Seigneur, beaucoup l’abandonnèrent et il n’en resta qu’un bien petit nombre ; car étroite est la voie qui conduit à la vie, et il en est peu qui savent y marcher ; large et spacieuse, au contraire, est la voie qui conduit à la mort, et il en est beaucoup qui s’y engagent. C’est que, selon la parole du Seigneur, « il est beaucoup d’appelés et peu d’élus. » — « Le nombre des insensés, dit Salomon, est infini. »

Qu’il tremble donc celui qui se réjouit de la multitude de ses religieux ! qu’il craigne que, selon la parole du Seigneur, il ne se trouve parmi eux peu d’élus, et que, multipliant sans mesure son troupeau, il ne puisse suf- fire à le garder, en sorte qu’il mérite cette parole du Prophète : « Vous avez multiplié ce peuple, mais vous n’avez pas augmenté sa joie ! » Tels sont, en effet, ceux qui sont fiers du nombre. Obligés pour leurs propres besoins et pour ceux de la communauté de sortir, de rentrer dans le siècle et d’aller çà et là mendier, ils s’embarrassent bien plus du soin des corps que du soin des âmes, et s’attirent plus de mépris que de gloire.

Une telle conduite serait pour des femmes une honte d’autant plus grande qu’il leur est plus dangereux de courir par le monde. Quiconque veut vivre honnêtement, tranquillement, se donner au service du Seigneur, se rendre cher à Dieu et aux hommes, doit craindre de rassembler plus de frères qu’il n’en peut soigner ; ne point compter, pour ses dépenses, sur la bourse d’autrui, songer à faire, non à demander l’aumône. L’apôtre saint Paul, le grand prédicateur de l’Évangile, avait, au nom de l’Évangile, le droit de recevoir assistance : il travaillait de ses mains, pour n’être à charge à per- sonne et ne point porter atteinte à sa gloire. Pour nous, dont le devoir est non de prêcher, mais de pleurer les péchés, quel serait notre aveuglement, notre honte d’aller mendier notre subsistance ! Comment pourrions-nous soutenir ceux que nous aurions inconsidérément réunis ? N’est-ce pas déjà assez de folie d’aller soudoyer des prédicateurs, faute de savoir prêcher, et conduisant à la rondo ces faux apôtres, de porter partout nos croix et nos reliques pour vendre aux simples et aux imbéciles non la parole de Dieu, mais les mensonges dorés du diable, pour leur tout promettre afin de leur escroquer leur argent ? Ah ! c’est déjà celte cupidité impudente à chercher les biens de ce monde et non ceux de Jésus-Christ, qui fait, ainsi que per- sonne ne l’ignore, qu’on n’a plus do respect ni pour cet ordre, ni pour la prédication de la parole de Dieu.